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CHAPITRE XIII.

sixième essai de l’anneau.

de l’opéra de banza[1].


De tous les spectacles de Banza, il n’y avait que l’Opéra qui se soutînt. Utmiutsol[2] et Uremifasolasiututut[3], musiciens célèbres, dont l’un commençait à vieillir et l’autre ne faisait que de naître, occupaient alternativement la scène lyrique. Ces deux auteurs originaux avaient chacun leurs partisans : les ignorants et les barbons tenaient tous pour Utmiutsol ; la jeunesse et les virtuoses étaient pour Uremifasolasiututut ; et les gens de goût, tant jeunes que barbons, faisaient grand cas de tous les deux. Uremifasolasiututut, disaient ces derniers, est excellent lorsqu’il est bon ; mais il dort de temps en temps : et à qui cela n’arrive-t-il pas ? Utmiutsol est plus soutenu, plus égal : il est rempli de beautés ; cependant il n’en a point dont on ne trouve des exemples, et même plus frappants, dans son rival, en qui l’on remarque des traits qui lui sont propres et qu’on ne rencontre que dans ses ouvrages. Le vieux Utmiutsol est simple, naturel, uni, trop uni quelquefois, et c’est sa faute. Le jeune Uremifasolasiututut est singulier, brillant, composé, savant, trop savant[4] quelquefois : mais c’est peut-être la faute de son auditeur ; l’un n’a qu’une ouverture, belle à la vérité, mais répétée à la tête de

  1. Les critiques d’art musical, qui se sont fréquemment occupés des opinions de Diderot sur la musique de son temps, se sont tous, sans en excepter le dernier en date, M. Adolphe Jullien *, bornés à lire le Neveu de Rameau. Ils auraient dû, comme on le voit par ce chapitre, remonter plus haut, et ils auraient vu que Diderot n’avait point été seulement l’écho de son voisinage, mais qu’il s’était vraiment préoccupé de l’art dont il parlait. On se convaincra, par la suite de cette édition (section Beaux-Arts), qu’il n’avait pas même dédaigné d’apprendre le métier, au même titre que ceux qu’il décrivait dans l’ Encyclopédie, pour en parler en conscience.

    * La Musique et les Philosophes au xviiie siècle, 1873, in-8o.

  2. Lulli.
  3. Rameau. Le premier vrai succès de Rameau est Hippolyte et Aricie, en 1738.
  4. C’était un reproche fait à Rameau par J.-J. Rousseau entre autres. Il est vrai que Rousseau en a dit de toutes couleurs au sujet de la musique, et qu’il est revenu à Rameau quand il a pu se croire seul de son avis.