Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

aux devoirs de notre état, nous garderions un silence profond sur vos déréglements, vous portez avec vous une voix plus importune que la nôtre ; elle vous suit, et partout elle vous reprochera vos désirs impurs, vos attachements équivoques, vos liaisons criminelles, tant de soins pour plaire, tant d’artifices pour engager, tant d’adresse pour fixer, et l’impétuosité de vos transports et les fureurs de votre jalousie. Qu’attendez-vous donc pour secouer le joug de Cadabra, et rentrer sous les douces lois de Brama ? Mais revenons à notre sujet. Je vous disais donc que les mondains s’asseyent hérétiquement pour neuf raisons, la première, etc. »

Ce discours fit des impressions fort différentes. Mangogul et la sultane, qui seuls avaient le secret de l’anneau, trouvèrent que le bramine avait aussi heureusement expliqué le caquet des bijoux par le secours de la religion, qu’Orcotome par les lumières de la raison. Les femmes et les petits-maîtres de la cour dirent que le sermon était séditieux, et le prédicateur un visionnaire. Le reste de l’auditoire le regarda comme un prophète, versa des larmes, se mit en prière, se flagella même, et ne changea point de vie.

Il en fut bruit jusque dans les cafés. Un bel esprit décida que le bramine n’avait qu’effleuré la question, et que sa pièce n’était qu’une déclamation froide et maussade ; mais au jugement des dévotes et des illuminés, c’était le morceau d’éloquence le plus solide qu’on eût prononcé dans les temples depuis un siècle. Au mien, le bel esprit et les dévotes avaient raison.

CHAPITRE XVI[1].

vision de mangogul.

Ce fut au milieu du caquet des bijoux qu’il s’éleva un autre trouble dans l’empire ; ce trouble fut causé par l’usage du penum, ou du petit morceau de drap qu’on appliquait aux moribonds. L’ancien rite ordonnait de le placer sur la bouche. Des réformateurs prétendirent qu’il fallait le mettre au derrière. Les

  1. Chapitre qui se trouve pour la première fois dans l’édition de Naigeon.