Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/229

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après son mariage ; mais un bijou né voluptueux se dompte rarement de lui-même, et un mari quinquagénaire, quelque héros qu’il soit d’ailleurs, est un insensé, s’il se promet de vaincre cet ennemi. Quoique Thélis mît dans sa conduite de la prudence, ses premières aventures ne furent point ignorées. C’en fut assez dans la suite pour lui en supposer de secrètes, et Mangogul, curieux de ces vérités, se hâta de passer du vestibule de son palais dans son appartement.

On était alors au milieu de l’été : il faisait une chaleur extrême, et Thélis, après le dîner, s’était jetée sur un lit de repos, dans un arrière-cabinet orné de glaces et de peintures. Elle dormait, et sa main était encore appuyée sur un recueil de contes persans qui l’avaient assoupie.

Mangogul la contempla quelque temps, convint qu’elle avait des grâces, et tourna sa bague sur elle. « Je m’en souviens encore, comme si j’y étais, dit incontinent le bijou de Thélis : neuf preuves d’amour en quatre heures. Ah ! quels moments ! que Zermounzaïd est un homme divin ! Ce n’est point là le vieux et glacé Sambuco. Cher Zermounzaïd, j’avais ignoré les vrais plaisirs, le bien réel ; c’est toi qui me l’as fait connaître. »

Mangogul, qui désirait s’instruire des particularités du commerce de Thélis avec Zermounzaïd, que le bijou lui dérobait, en ne s’attachant qu’à ce qui frappe le plus un bijou, frotta quelque temps le chaton de sa bague contre sa veste, et l’appliqua sur Thélis, tout étincelant de lumière. L’effet en parvint bientôt jusqu’à son bijou, qui mieux instruit de ce qu’on lui demandait, reprit d’un ton plus historique :

« Sambuco commandait l’armée du Monoémugi, et je le suivais en campagne. Zermounzaïd servait sous lui en qualité de colonel, et le général, qui l’honorait de sa confiance, nous avait mis sous son escorte. Le zélé Zermounzaïd ne désempara pas de son poste : il lui parut trop doux, pour le céder à quelque autre ; et le danger de le perdre fut le seul qu’il craignît de toute la campagne.

« Pendant le quartier d’hiver, je reçus quelques nouveaux hôtes, Cacil, Jékia, Almamoum, Jasub, Sélim, Manzora, Néreskim, tous militaires que Zermounzaïd avait mis à la mode, mais qui ne le valaient pas. Le crédule Sambuco s’en reposait de la vertu de sa femme sur elle-même, et sur les soins de Zermoun-