Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/245

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par un jeune bramine qui la venait consoler, tandis que monsieur était en campagne. »

On devine aisément d’où partait la voix indiscrète qui prononça cette réponse. La pauvre Isec, décontenancée, pâlit, chancela, se pâma.

« Madame est sujette aux vapeurs, dit tranquillement Mangogul ; qu’on la transporte dans un appartement du sérail, et qu’on la secoure. » Puis s’adressant tout de suite à Phénice :

« Madame, lui demanda-t-il, votre mari n’était-il pas pacha ?

— Oui, seigneur, répondit Phénice, d’une voix tremblante.

— Et comment l’avez-vous perdu ?…

— Seigneur, il est mort dans son lit, épuisé des fatigues de la dernière campagne…

« — Des fatigues de la dernière campagne ! » reprit le bijou de Phénice. « Allez, madame, votre mari a rapporté du camp une santé ferme et vigoureuse ; et il en jouirait encore, si deux ou trois baladins… Vous m’entendez ; et songez à vous. »

— Écrivez, dit le sultan, que Phénice demande une pension pour les bons services qu’elles a rendus à l’État et à son époux. »

Une troisième fut interrogée sur l’âge et le nom de son mari, qu’on disait mort à l’armée, de la petite vérole… »

« — De la petite vérole ! dit le bijou ; en voilà bien d’une autre ! Dites, madame, de deux bons coups de cimeterre qu’il a reçus du sangiac Cavagli, parce qu’il trouvait mauvais que l’on dît que son fils aîné ressemblait au sangiac comme deux gouttes d’eau, et madame sait aussi bien que moi, ajouta le bijou, que jamais ressemblance ne fut mieux fondée. »

La quatrième allait parler sans que Mangogul l’interrogeât, lorsqu’on entendit par bas son bijou s’écrier :

« — Que depuis dix ans que la guerre durait, elle avait assez bien employé son temps ; que deux pages et un grand coquin de laquais avaient suppléé à son mari, et qu’elle destinait sans doute la pension qu’elle sollicitait, à l’entretien d’un acteur de l’Opéra-Comique. »

Une cinquième s’avança avec intrépidité, et demanda d’un ton assuré la récompense des services de feu monsieur son époux, aga des janissaires, qui avait laissé la vie sous les murs de Matatras. Le sultan tourna sa bague sur elle, mais inutilement. Son bijou fut muet. « Il faut avouer, dit l’auteur africain