Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/263

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animal, que je gage qu’en tournant l’anneau de Cucufa sur ma jument, je la fais parler comme une femme.

— Voilà, sans contredit, lui répondit Mirzoza, l’argument le plus fort qu’on ait fait et qu’on fera jamais contre nous. »

Puis elle se mit à rire comme une folle. Mangogul, dépité de ce que ses ris ne finissaient point, sortit brusquement, résolu de tenter la bizarre expérience qui s’était présentée à son imagination.

CHAPITRE XXXI.

treizième essai de l’anneau.

la petite jument.

Je ne suis pas grand faiseur de portraits. J’ai épargné au lecteur celui de la sultane favorite ; mais je ne me résoudrai jamais à lui faire grâce de celui de la jument du sultan. Sa taille était médiocre ; elle se tenait assez bien ; on lui reprochait seulement de laisser un peu tomber sa tête en devant. Elle avait le poil blond, l’œil bleu, le pied petit, la jambe sèche, le jarret ferme et la croupe légère. On lui avait appris longtemps à danser ; et elle faisait la révérence comme un président à la messe rouge. C’était en somme une assez jolie bête ; douce surtout : on la montait aisément ; mais il fallait être excellent écuyer pour n’en être pas désarçonné. Elle avait appartenu au sénateur Aaron ; mais un beau soir, voilà la petite quinteuse qui prend le mors aux dents, jette monsieur le rapporteur les quatre fers en l’air et s’enfuit à toute bride dans les haras du sultan, emportant sur son dos, selle, bride, harnais, housse et caparaçon de prix, qui lui allaient si bien, qu’on ne jugea pas à propos de les renvoyer.

Mangogul descendit dans ses écuries, accompagné de son premier secrétaire Ziguezague.

« Écoutez attentivement, lui dit-il, et écrivez… »

À l’instant il tourna sa bague sur la jument, qui se mit à sauter, à caracoler, ruer, volter en hennissant sous queue…

« À quoi pensez-vous ? dit le prince à son secrétaire : écrivez donc…