Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/278

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dessus de porte d’un lieu de débauches secrètes !… Cela ne peut-être… Voyons pourtant. »

Il dit et part pour Alcanto. C’est là qu’est située la petite maison du sénateur Hippomanès. Il entre ; il parcourt les appartements, il en examine l’ameublement. Tout lui paraît galant. La petite maison d’Agésile, le plus délicat et le plus voluptueux de ses courtisans, n’est pas mieux. Il se déterminait à sortir, ne sachant que penser ; car après tous les lits de repos, les alcôves à glaces, les sofas mollets, le cabinet de liqueurs ambrées, le reste n’était que des témoins muets de ce qu’il avait envie d’apprendre, lorsqu’il aperçut une grosse figure étendue sur une duchesse, et plongée dans un sommeil profond. Il tourna son anneau sur elle, et tira de son bijou les anecdotes suivantes :

« Alphane est fille d’un robin. Si sa mère eût moins vécu, je ne serais pas ici. Les biens immenses de la famille se sont éclipsés entre les mains de la vieille folle ; et elle n’a presque rien laissé à quatre enfants qu’elle avait, trois garçons et une fille dont je suis le bijou. Hélas ! c’est bien pour mes péchés ! Que d’affronts j’ai soufferts ! qu’il m’en reste encore à souffrir ! On disait dans le monde que le cloître convenait assez à la fortune et à la figure de ma maîtresse ; mais je sentais qu’il ne me convenait point à moi : je préférai l’art militaire à l’état monastique, et je fis mes premières campagnes sous l’émir Azalaph. Je me perfectionnai sous le grand Nangazaki ; mais l’ingratitude du service m’en a détaché, et j’ai quitté l’épée pour la robe. Je vais donc appartenir à un petit faquin de sénateur tout bouffi de ses talents, de son esprit, de sa figure, de son équipage et de ses aïeux. Depuis deux heures je l’attends. Il viendra apparemment ; car son intendant m’a prévenu que, quand il vient, c’est sa manie que de se faire attendre longtemps. »

Le bijou d’Alphane en était là, lorsque Hippomanès arriva. Au fracas de son équipage, et aux caresses de sa familière levrette, Alphane s’éveilla. « Enfin vous voilà donc, ma reine, lui dit le petit président. On a bien de la peine à vous avoir. Parlez ; comment trouvez-vous ma petite maison ? elle en vaut bien une autre, n’est-ce pas ? »

Alphane jouant la niaise, la timide, la désolée, comme si nous n’eussions jamais vu de petites maisons, disait son bijou,