Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/279

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et que je ne fusse jamais entré pour rien dans ses aventures, s’écria douloureusement : « Monsieur le président, je fais pour vous une démarche étrange. Il faut que je sois entraînée par une terrible passion, pour en être aveuglée sur les dangers que je cours ; car enfin, que ne dirait-on pas, si l’on me soupçonnait ici ?

— Vous avez raison, lui dit Hippomanès ; votre démarche est équivoque ; mais vous pouvez compter sur ma discrétion.

— Mais, reprit Alphane, je compte aussi sur votre sagesse.

— Oh ! pour cela, lui dit Hippomanès en ricanant, je serai fort sage ; et le moyen de n’être pas dévot comme un ange dans une petite maison ? Sans mentir, vous avez là une gorge charmante…

— Finissez donc, lui répondit Alphane ; déjà vous manquez à votre parole.

— Point du tout, lui répliqua le président ; mais vous ne m’avez pas répondu. Que vous semble de cet ameublement ? Puis s’adressant à sa levrette : Viens ici, Favorite, donne la patte, ma fille. C’est une bonne fille que Favorite… Mademoiselle voudrait-elle faire un tour de jardin ? Allons sur ma terrasse ; elle est charmante. Je suis dominé par quelques voisins ; mais peut-être qu’ils ne vous connaîtront pas…

— Monsieur le président, je ne suis pas curieuse, lui répondit Alphane d’un ton piqué. Il me semble qu’on est mieux ici.

— Comme il vous plaira, reprit Hippomanès. Si vous étes fatiguée, voilà un lit. Pour peu que le cœur vous en dise, je vous conseille de l’essayer. La jeune Astérie, la petite Phénice, qui s’y connaissent, m’ont assuré qu’il était bon. »

Tout en tenant ces impertinents propos à Alphane, Hippomanès tirait sa robe par les manches, délaçait son corset, détachait ses jupes, et dégageait ses deux gros pieds de deux petites mules. Lorsque Alphane fut presque nue, elle s’aperçut qu’Hippomanès la déshabillait…

« Que faites-vous là ? s’écria-t-elle toute surprise. Président, vous n’y pensez pas. Je me fâcherai tout de bon.

— Ah, ma reine ! lui répondit Hippomanès, vous fâcher contre un homme qui vous aime comme moi, cela serait d’une bizarrerie dont vous n’êtes pas capable. Oserais-je vous prier de passer dans ce lit ?