Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/309

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peau de jeunes dévotes qu’elle forme à la perfection, et dont sa maison ne désemplit pas. Il n’y avait rien à faire là pour vous autres, ajouta la favorite en souriant et secouant la tête.

— Madame, vous avez raison, dit Mangogul. J’ai questionné son bijou : point de réponse. J’ai redoublé la vertu de ma bague en la frottant et refrottant : rien n’est venu. Il faut, me disais-je à moi-même, que ce bijou soit sourd. Et je me disposais à laisser Fricamone sur le lit de repos où je l’avais trouvée, lorsqu’elle s’est mise à parler, par la bouche, s’entend.

« Chère Acaris, s’écriait-elle, que je suis heureuse dans ces moments que je dérobe à tout ce qui m’obsède, pour me livrer à toi ! Après ceux que je passe entre tes bras, ce sont les plus doux de ma vie… Rien ne me distrait ; autour de moi tout est dans le silence ; mes rideaux entrouverts n’admettent de jour que ce qu’il en faut pour m’incliner à la tendresse et te voir. Je commande à mon imagination : elle t’évoque, et d’abord je te vois… Chère Acaris ! que tu me parais belle !… Oui, ce sont là tes yeux, c’est ton souris, c’est ta bouche… Ne me cache point cette gorge naissante. Souffre que je la baise… Je ne l’ai point assez vue… Que je la baise encore !… Ah ! laisse-moi mourir sur elle… Quelle fureur me saisit ! Acaris ! chère Acaris, où es-tu ?… Viens donc, chère Acaris… Ah ! chère et tendre amie, je te le jure, des sentiments inconnus se sont emparés de mon âme. Elle en est remplie, elle en est étonnée, elle n’y suffit pas… Coulez, larmes délicieuses ; coulez, et soulagez l’ardeur qui me dévore… Non, chère Acaris, non, cet Alizali, que tu me préfères, ne t’aime point comme moi… Mais j’entends quelque bruit… Ah ! c’est Acaris, sans doute… Viens, chère âme, viens… »

— Fricamone ne se trompait point, continua Mangogul : c’était Acaris, en effet. Je les ai laissées s’entretenir ensemble, et fortement persuadé que le bijou de Fricamone continuerait d’être discret, je suis accouru vous apprendre que j’ai perdu.

— Mais, reprit la sultane, je n’entends rien à cette Fricamone. Il faut qu’elle soit folle, ou qu’elle ait de cruelles vapeurs. Non, prince, non ; j’ai plus de conscience que vous ne m’en supposez. Je n’ai rien à objecter à cette épreuve. Mais je sens là quelque chose qui me défend de m’en prévaloir. Et je ne