Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/344

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tons doucereux ; et l’on se disait à l’oreille que la communauté serait bien heureuse si j’y prenais l’habit.

« Je ne crus pas plus tôt ma réputation faite dans la maison, que je m’attachai à une jeune vierge qui venait de prendre le premier voile : c’était une brune adorable ; elle m’appelait sa maman, je l’appelais mon petit ange ; elle me donnait des baisers innocents, et je lui en rendais de fort tendres. Jeunesse est curieuse ; Zirziphile me mettait à tout propos sur le mariage et sur les plaisirs des époux ; elle m’en demandait des nouvelles ; j’aiguisais habilement sa curiosité ; et de questions en questions, je la conduisis jusqu’à la pratique des leçons que je lui donnais. Ce ne fut pas la seule novice que j’instruisis ; et quelques jeunes nonnains vinrent aussi s’édifier dans ma cellule. Je ménageais les moments, les rendez-vous, les heures, si à propos que personne ne se croisait : enfin, madame, que vous dirai-je ? la pieuse veuve se fit une postérité nombreuse ; mais lorsque le scandale dont on avait gémi tout bas eut éclaté et que le conseil des discrètes, assemblé, eut appelé le médecin de la maison, je méditai ma retraite. Une nuit donc, que toute la maison dormait, j’escaladai les murs du jardin et je disparus : je me rendis aux eaux de Piombino, où le médecin avait envoyé la moitié du couvent et où j’achevai, sous l’habit de cavalier, l’ouvrage que j’avais commencé sous celui de veuve. Voilà, madame, un fait dont tout l’empire a mémoire et dont vous seule connaissez l’auteur.

« Le reste de ma jeunesse, ajouta Sélim, s’est consumé à de pareils amusements, toujours de femmes, et toute espèce, rarement du mystère, beaucoup de serments et point de sincérité.

— Mais, à ce compte, lui dit la favorite, vous n’avez donc jamais aimé ?

— Bon ! répondit Sélim, je pensais bien alors à l’amour ! je n’en voulais qu’au plaisir et à celles qui m’en promettaient.

— Mais a-t-on du plaisir sans aimer ? interrompit la favorite. Qu’est-ce que cela, quand le cœur ne dit rien ?

— Eh ! madame, répliqua Sélim, est-ce le cœur qui parle, à dix-huit ou vingt ans ?

— Mais enfin, de toutes ces expériences, quel est le résultat ? qu’avez-vous prononcé sur les femmes ?

— Qu’elles sont la plupart sans caractère, dit Sélim ; que trois choses les meuvent puissamment : l’intérêt, le plaisir et