Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/362

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— Et moi, répliqua Fulvia, j’en ai été d’une humeur affreuse. Comment deux jours entiers sans vous apercevoir !…

— Vous savez, reprit Sélim, à quoi je suis obligé par mon rang, et quelque assurée que paraisse la faveur des grands…

— Comment, interrompit Fulvia, le sultan vous aurait-il marqué de la froideur ? aurait-on oublié vos services ? Sélim, vous êtes distrait ; vous ne me répondez pas… Ah ! si vous m’aimez, qu’importe à votre bonheur le bon ou le mauvais accueil du prince ? Ce n’est pas dans ses yeux, c’est dans les miens, c’est entre mes bras que vous le chercherez. »

Sélim écoutait attentivement ce discours, examinant le visage de sa maîtresse, et cherchait dans ses mouvement ce caractère de vérité auquel on ne se trompe point, et qu’il est impossible de bien simuler : quand je dis impossible, c’est à nous autres hommes ; car Fulvia se composait si parfaitement, que Sélim commençait à se reprocher de l’avoir soupçonnée. Lorsque Mangogul arriva, Fulvia se tut aussitôt ; Sélim frémit, et le bijou dit : « Madame a beau faire des pèlerinages à toutes les pagodes du Congo, elle n’aura point d’enfants, et pour causes que je sais bien, moi qui suis son bijou… »

À ce début, Sélim se couvrit d’une pâleur mortelle ; il voulut se lever, mais ses genoux tremblants se dérobèrent sous lui, et il retomba dans son fauteuil. Le sultan, invisible, s’approcha, et lui dit à l’oreille :

— En avez-vous assez ?…

— Ah ! prince, s’écria douloureusement Sélim, pourquoi n’ai-je pas écouté les avis de Mirzoza et les pressentiments de mon cœur ? Mon bonheur vient de s’éclipser ; j’ai tout perdu : je me meurs si son bijou se tait ; s’il parle, je suis mort. Qu’il parle pourtant. Je m’attends à des lumières affreuses ; mais je les redoute moins que je ne hais l’état perplexe où je suis. »

Cependant le premier mouvement de Fulvia avait été de porter la main sur son bijou et de lui fermer la bouche : ce qu’il avait dit jusque-là supportait une interprétation favorable ; mais elle appréhendait pour le reste. Lorsqu’elle commençait à se rassurer sur le silence qu’il gardait, le sultan, pressé par Sélim, retourna sa bague : Fulvia fut contrainte d’écarter les doigts, et le bijou continua :