Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/387

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la remit dans son palanquin ; et elle fut aussitôt transportée au sérail. Mangogul, averti du danger, accourut : on appela toute la pharmacie. Le garus, les gouttes du général La Motte, celles d’Angleterre, furent essayés, mais sans aucun succès. Le sultan, désolé, tantôt pleurant sur Mirzoza, tantôt jurant contre Orcotome, perdit enfin toute espérance, ou du moins n’en eut plus qu’en son anneau.

« Si je vous ai perdue, délices de mon âme, s’écria-t-il, votre bijou doit, ainsi que votre bouche, garder un silence éternel. »

À l’instant il commande qu’on sorte ; on obéit ; et le voilà seul vis-à-vis de la favorite : il tourne sa bague sur elle ; mais le bijou de Mirzoza, qui s’était ennuyé au sermon, comme il arrive tous les jours à d’autres, et qui se sentait apparemment de la léthargie, ne murmura d’abord que quelques mots confus et mal articulés. Le sultan réitéra l’opération ; et le bijou, s’expliquant très distinctement, dit :

« Loin de vous, Mangogul, qu’allais-je devenir ?… fidèle jusque dans la nuit du tombeau, je vous aurais cherché ; et si l’amour et la constance ont quelque récompense chez les morts, cher prince, je vous aurais trouvé… Hélas ! sans vous, le palais délicieux qu’habite Brama, et qu’il a promis à ses fidèles croyants, n’eût été pour moi qu’une demeure ingrate. »

Mangogul, transporté de joie, ne s’aperçut pas que la favorite sortait insensiblement de sa léthargie ; et que, s’il tardait à retourner sa bague, elle entendrait les dernières paroles de son bijou : ce qui arriva.

« Ah ! prince, lui dit-elle, que sont devenus vos serments ? Vous avez donc éclairci vos injustes soupçons ? Rien ne vous a retenu ; ni l’état où j’étais, ni l’injure que vous me faisiez, ni la parole que vous m’aviez donnée ?

— Ah ! madame, lui répondit le sultan, n’imputez point à une honteuse curiosité une impatience que le désespoir de vous avoir perdue m’a seul suggérée : je n’ai point fait sur vous l’essai de mon anneau ; mais j’ai cru pouvoir, sans manquer à mes promesses, user d’une ressource qui vous rend à mes vœux, et qui vous assure mon cœur à jamais.

— Prince, dit la favorite, je vous crois : mais que l’anneau soit remis au génie, et que son fatal présent ne trouble plus ni votre cour ni votre empire. »