Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/394

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la sultane.

Vous avez raison ; je n’y pensais pas. Ah ! oui, des esprits !

La sultane prononça ces derniers mots en bâillant.

le premier émir.

On avertit la supérieure de ce prodige. Les prêtres furent assemblés ; on raisonna beaucoup sur la naissance des petits esprits : après de longues altercations sur le parti qu’il y avait à prendre, il fut décidé qu’on interrogerait la grande guenon. Aussitôt les tambourins et les clochettes annoncent au peuple la cérémonie. Les portes du temple sont ouvertes, les parfums allumés, les victimes offertes ; mais la cause du sacrifice ignorée. Il eût été difficile de persuader aux fidèles que l’oiseau était père des petits esprits.

la sultane.

Je vois, émir, que vous ne savez pas encore combien les peuples sont bêtes.

le premier émir.

Après une heure et demie de génuflexions, d’encensements et d’autres singeries, la grande guenon se gratta l’oreille, et se mit à débiter de la mauvaise prose qu’on prit pour de la poésie céleste :


Pour conserver l’odeur de pucelage
Dont ce lieu saint fut toujours parfumé,
Que loin d’ici le galant emplumé
Aille chanter et chercher une cage.
Vierges, contre ce coup armez-vous de courage ;
Vous resterez encor vierges, ou peu s’en faut :
Vos cœurs, aux doux accent de son tendre ramage,
Ne s’ouvriront pas davantage ;
Telle est la volonté d’en haut.
Et toi qu’il honora de son premier hommage,
Qui lui fis de mon temple un séjour enchanté,
Modère la douleur dont ton âme est émue ;
L’oiseau blanc a pour toi suffisamment chanté.
Agariste, il est temps qu’il cherche Vérité,
Qu’il échappe au pouvoir du mensonge ; et qu’il mue.