condition générale de vos citoyens. Cela serait injuste et maladroit ; injuste parce que leurs privilèges leur appartiennent comme votre couronne à vous ; parce qu’ils les possèdent et que si vous remuez les titres de leur possession, on remuera les titres de la vôtre ; parce que vous n’avez rien de mieux à faire que de respecter la loi de prescription qui vous est au moins aussi favorable qu’à eux ; parce que ce sont des dons de vos ancêtres et des ancêtres de vos sujets, et que rien n’est plus pur que le don ; parce que vous n’avez été admis au trône qu’à la condition de laisser à chaque état sa prérogative ; parce que si vous manquez à votre serment envers un des corps de votre royaume, pourquoi ne vous parjureriez-vous pas envers les autres ? parce que vous les alarmeriez tous alors ; qu’il n’y aurait plus rien de fixe autour de vous ; que vous ébranleriez les fondements de la propriété, sans laquelle il n’y a plus ni roi, ni sujets, il n’y a qu’un tyran et des esclaves ; et c’est en cela que vous serez encore maladroit. Que ferez-vous donc ? Vous laisserez les choses dans l’état où elles sont. Votre orgueilleux clergé aime mieux vous accorder des dons gratuits que de vous payer l’impôt ; demandez-lui des dons gratuits. Votre clergé célibataire, qui se soucie fort peu de ses successeurs, ne voudra pas payer de sa bourse, mais il empruntera de vos sujets ; tant mieux ; laissez-le emprunter ; aidez-le à contracter une dette énorme avec le reste de la nation ; alors faites une chose juste, contraignez-le à payer. Il ne pourra payer qu’en aliénant une partie de ses fonds ; ces fonds ont beau être sacrés, soyez très-sûr que vos sujets ne se feront aucun scrupule de les prendre lorsqu’ils se trouveront dans la nécessité ou de les accepter en payement ou de se ruiner en perdant leur créance. C’est ainsi que, de dons gratuits en dons gratuits, vous leur ferez contracter une seconde dette, une troisième, une quatrième, à l’acquittement de laquelle vous les contraindrez jusqu’à ce qu’ils soient réduits à un état de médiocrité ou d’indigence qui les rende aussi vils qu’ils sont inutiles. Il ne tiendra qu’à vous et à vos successeurs qu’on les voie un jour déguenillés sous les portiques de leurs somptueux édifices, offrant aux peuples leurs prières et leurs sacrifices au rabais. Mais, me direz-vous, je n’aurai plus de religion. Vous vous trompez, Sire, vous en aurez toujours une ; car la religion est une plante rampante et vivace
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