Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/45

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qui ne périt jamais ; elle ne fait que changer de forme. Celle qui résultera de la pauvreté et de l’avilissement de ses membres sera la moins incommode, la moins triste, la plus tranquille et la plus innocente. Faites contre la superstition régnante ce que Constantin fit contre le paganisme : il ruina les prêtres païens, et bientôt on ne vit plus au fond de ses temples magnifiques qu’une vieille avec une oie fatidique disant la bonne aventure à la plus basse populace ; à la porte, que des misérables se prêtant au vice et aux intrigues amoureuses ; un père serait mort de honte s’il avait souffert que son enfant se fît prêtre. Et si vous daignez m’écouter, je serai de tous les philosophes le plus dangereux pour les prêtres, car le plus dangereux des philosophes est celui qui met sous les yeux du monarque l’état des sommes immenses que ces orgueilleux et inutiles fainéants coûtent à ses États ; celui qui lui dit, comme je vous le dis, que vous avez cent cinquante mille hommes à qui vous et vos sujets payez à peu près cent cinquante mille écus par jour pour brailler dans un édifice et nous assourdir de leurs cloches ; qui lui dit que cent fois l’année, à une certaine heure marquée, ces hommes-là parlent à dix-huit millions de vos sujets rassemblés et disposés à croire et à faire tout ce qu’ils leur enjoindront de la part de Dieu ; qui lui dit qu’un roi n’est rien, mais rien du tout, où quelqu’un peut commander dans son empire au nom d’un être reconnu pour le maître du roi ; qui lui dit que ces créateurs de fêtes ferment les boutiques de sa nation tous les jours où ils ouvrent la leur, c’est-à-dire un tiers de l’année ; qui lui dit que ce sont des couteaux à deux tranchants se déposant alternativement, selon leurs intérêts, ou entre les mains du roi pour couper le peuple, ou entre les mains du peuple pour couper le roi ; qui lui dit que, s’il savait s’y prendre, il lui serait plus facile de décrier tout son clergé qu’une manufacture de bons draps, parce que le drap est utile et qu’on se passe plus aisément de messes et de sermons que de souliers ; qui ôte à ces saints personnages leur caractère prétendu sacré, comme je fais à présent, et qui vous apprend à les dévorer sans scrupule lorsque vous serez pressé par la faim ; qui vous conseille, en attendant les grands coups, de vous jeter sur la multitude de ces riches bénéfices à mesure qu’ils viendront à vaquer, et de n’y nommer que ceux qui voudront bien les accepter pour le