Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/463

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la marquise.

D’où vient ?

saint-alban.

C’est qu’elle est mariée ; c’est qu’elle aime son mari ; c’est que ce mari l’adore ; c’est qu’elle ne donne à son frère que les moments perdus pour le mari… Pour surcroît de malheur, ce mari va dans sa terre pour un an, et ma sœur a la manie de l’y suivre.

la marquise.

Mais si elle est heureuse avec lui ?

saint-alban.

Je ne veux pas, madame, qu’elle soit heureuse de cette façon-là ; et d’ailleurs je vois le chagrin qu’elle a de se séparer de ma mère et de moi… Mais on ne vit que de contradiction et de traverses… Cette jolie maison de campagne que vous savez que ma mère m’a donnée…

la marquise.

Eh bien ?

saint-alban.

Je l’ai fait arranger délicieusement. C’est un chef-d’œuvre.

la marquise.

Je l’ai ouï dire.

saint-alban.

Je me faisais un délice de l’habiter. Mais point. Je ne puis y aller que je ne sois accablé de tous les oisifs d’alentour, qui viennent m’assassiner d’éloges ou de critiques.

la marquise.

C’est un inconvénient ; mais vous y avez, ce me semble, un voisinage agréable qui peut vous en dédommager. La maison de Bélincourt…

saint-alban.

Serait la seule qui me convînt. Mais elle est trop bruyante, la compagnie y est trop nombreuse, les appartements trop vastes… Le bonheur s’évapore au milieu de tout cela.

la marquise.

De sorte que vous vous plaisez plus chez vous, et que l’on vous voit peu chez Bélincourt ?