Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/462

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la marquise.

Vous avez beau dire, le commerce d’une mère qui contredit sans cesse, eût-elle les meilleures intentions du monde, doit à la fin devenir insupportable.

saint-alban.

Mais, madame, elle ne contredit jamais ; au contraire, elle a plus d’égards, plus de crainte de nous faire de la peine… Je vous jure que c’est une femme unique. Si elle nous présente avec force nos devoirs, c’est toujours en nous consultant qu’elle nous les rappelle. Enfin elle s’y prend de manière qu’on a mille fois plus de plaisir à lui sacrifier ses désirs qu’à les satisfaire. Je l’ai éprouvé vingt fois.

la marquise.

Vous me comblez de joie, car je craignais que sa tendresse ne fût mal entendue et ne vous rendît malheureux.

saint-alban.

Ah ! madame, mon seul tourment à cet égard est de ne pas assez mériter ses bontés. Je donnerais ma vie pour qu’elle fût heureuse. (Il reprend l’air soucieux.) Mais, hélas !… il ne manquait à mon sort qu’une mère adorable.

la marquise.

On peut, à la rigueur, se consoler de ce malheur-là.

saint-alban.

Non, madame, car sa santé s’affaiblit… son âge… elle avance en âge… Quelle perte pour nous, lorsqu’elle ne sera plus ! cette perspective est à désoler… Il n’y a que ma sœur au monde qui puisse la remplacer.

la marquise.

Oui, elle est aimable, votre sœur.

saint-alban.

Si elle est aimable ! elle joint à toutes les vertus de ma mère les agréments de la jeunesse. Voilà tout ce que je puis vous en dire… cependant…

la marquise.

Quoi ?

saint-alban.

On ne jouit de rien de tout cela.