Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/485

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MON PÈRE ET MOI


J’ai perdu ma mère à l’âge de quinze ans. Mon père se chargea seul de mon éducation. Je l’aimais tendrement, et je mis toute mon application à répondre à ses soins. Il était commandant de sa province. Il était à son aise, et passait pour très-riche, parce qu’il tenait un grand état, et qu’il faisait beaucoup d’aumônes. J’avais été bercée par des mies d’idées de grande fortune, et je m’ennuyais souvent de l’économie que me prêchait mon père. Un jour que j’en avais plus d’humeur qu’à l’ordinaire, j’eus avec lui une conversation que je n’ai jamais oubliée. Il y a longtemps que je me propose de la mettre par écrit, parce qu’elle pourra être utile aux jeunes personnes qui se feraient sur la richesse, comme moi, des idées fausses. Voici à peu près ce qui fut dit entre nous.

moi.

Je ne saurais souffrir qu’on méprise la richesse. Il faut être bien mal né pour ne pas envier tout le bien qu’elle met à portée de faire.

mon père.

Dis plutôt, mon enfant, qu’il faut être bien vain pour n’en pas redouter les dangers.

moi.

Je vous assure, mon père, que je n’en suis nullement alarmée. Qu’importe qu’on ait des fantaisies lorsqu’on a de quoi les satisfaire ?

mon père.

Puisse l’expérience, ma fille, ne vous jamais apprendre qu’une fantaisie satisfaite en amène dix autres, et que le moindre