Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/488

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acquitter sa dette envers les pauvres qui, vraisemblablement, ont été négligés, elles auraient été beaucoup plus profitables.

moi.

On peut, je crois, acquitter cette dette, et jouir, en même temps, d’une fortune honnête sans se la reprocher.

mon père

Peu de fortunes sont assez innocentes dans leur principe pour en jouir en sécurité. Il en est, cependant. Mais je laisse tous les lieux communs rebattus par les moralistes, et je demande seulement, mon enfant, si l’on est justifié en morale de n’avoir point fait le mal, et de n’avoir fait que le bien quand on a connu le mieux. D’après cette considération, qui ne peut être négligée que par des âmes étroites, voyez à combien de reproches le riche s’expose par le seul emploi de la richesse.

moi.

Si elle nous rend coupable toutes les fois qu’on n’en fait pas le meilleur usage possible, je ne sache rien de plus incommode ni même de plus funeste que la richesse.

mon père

Voilà, ma fille, ce que je ne cesse de vous répéter.

moi.

Mais, mon père, vous me parlez sans cesse de bienfaisance et d’humanité, et si j’osais…

mon père

Parlez.

moi.

Pourquoi avons-nous tous les jours, souvent pour nous seuls, une table couverte d’un grand nombre de mets exquis et inutiles ? Pourquoi occupons-nous une maison immense, dans laquelle nous avons un appartement de chaque saison ; tandis que cent mille de nos semblables n’ont point de toit et manquent de pain ?

mon père

Voilà précisément, ma fille, les injustices d’état dont je vous parlais. Je me suis mis au-dessus du préjugé autant qu’il a dépendu de moi ; mais tout ce que j’ai pu faire a été de disposer d’un appartement de cette maison en faveur d’un pauvre