Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/57

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mensonges, plus de fraudes, plus de vols, moins d’honneur, moins de procédés, de sentiments et de délicatesse. Tout l’empire est un marché général où il n’y a non plus de sûreté et de bonne foi que dans les nôtres. Les âmes y sont basses, l’esprit petit, intéressé, rétréci et mesquin. S’il y a un peuple au monde vide de tout enthousiasme, c’est le Chinois.

Je le dis et je le prouve par un fait que je tiens du plus intelligent de nos supercargues : un Européen achète des étoffes à Canton, il est trompé sur la quantité, sur la qualité et le prix ; les marchandises sont déposées sur son bord. La friponnerie du marchand chinois avait été reconnue, lorsqu’il vint chercher son argent. L’Européen lui dit : « Chinois, tu m’as trompé. » Le Chinois lui répondit : « Européen, cela se peut ; mais il faut payer. » L’Européen : « Tu m’as trompé sur la quantité, la qualité et le prix. » Le Chinois : « Cela se peut ; mais il faut payer. » L’Européen : « Mais tu es un fripon, un gueux, un misérable. » Le Chinois : « Européen, cela se peut ; mais il faut payer. » L’Européen paye ; le Chinois reçoit son argent, et dit en se séparant de sa dupe : « À quoi t’a servi ta colère ? qu’ont produit tes injures ? Rien. N’aurais-tu pas beaucoup mieux fait de payer tout de suite et de te taire ? » Partout où l’on garde ce sang-froid à l’insulte, partout où l’on rougit aussi peu de la friponnerie, l’empire peut être très-bien gouverné, mais les mœurs particulières sont détestables.


Si les romans chinois sont une peinture un peu fidèle des caractères, il n’y a pas plus de justice à la Chine que de probité ; et les mandarins sont les plus grands fripons, les juges les plus iniques qu’il y ait au monde. Que penser de ces chefs de l’État qui portent publiquement, sans pudeur, sur leur petite bannière la marque de leur dégradation ?

Si l’on interrogeait à la Chine un Français sur ce que c’est qu’un docteur de Sorbonne ici, il dirait : C’est un homme né d’une famille honnête communément aisée, sinon opulente, dont les premières années ont été consacrées à la lecture, à l’écriture, à l’étude de sa langue et de deux ou trois langues anciennes qu’il possède lorsqu’il passe à des sciences plus relevées, telles que la philosophie, la logique, la morale, la physique, les mathématiques, la théologie. Versé dans ces sciences, qui ont employé