tiques ni ces branches de la connaissance humaine qu’un homme seul, isolé, méditatif pouvait dans cette contrée, ainsi qu’on le remarque ailleurs, porter par ses efforts à un grand point de perfection. C’est que partout où la population surabondera, l’utile sera la limite des travaux. Dans aucun siècle, en aucun endroit de la terre, on n’a vu l’enfant d’un homme opulent se faire peintre, poëte, philosophe, musicien, statuaire par état. Ces talents sortent des conditions subalternes, trop pauvres, trop malheureuses, trop occupées à la Chine à pourvoir aux premiers besoins de la vie. Il manque là l’intérêt et la considération, les deux aiguillons de la science et des beaux-arts, aiguillons également nécessaires pour se soutenir longtemps dans les contrées savantes. La richesse sans honneur, l’honneur sans richesse ne suffisent pas pour leur durée. Or, il y a plus d’honneur et de profit à l’invention d’un petit art utile chez une nation très-peuplée qu’à la plus sublime découverte qui ne montre que du génie. On y fait plus de cas de celui qui sait tirer parti des recoupes de la gaze, que de celui qui résout le problème des trois corps. C’est là surtout que se fait la question qu’on n’entend que trop fréquemment ici : À quoi cela sert-il ? Elle est dans tous les cas tacitement et universellement faite et répondue à Pékin. On n’élève des monuments éternels à l’honneur de l’esprit humain que quand on est bien pourvu de toutes les sortes de nécessaire ; car ces monuments sont la plus grande superfluité de toutes les superfluités de ce monde. Une nation telle que la chinoise, où le sol est couvert à peu près d’un tiers d’habitants de plus qu’il n’en peut nourrir dans les années médiocres, où les mœurs ne permettent pas les émigrations, où l’inconvénient de la population excessive va toujours en s’accroissant, est pleine d’activité, de mouvement, d’inquiétude. Il n’y a pas un brin de paille à négliger, pas un instant de temps qui n’ait sa valeur ; l’attente de la disette presse sans cesse. C’est le mobile secret de toutes les âmes, tandis que la culture de l’esprit demande une vie tranquille, oisive, retirée, immobile. Il n’y a donc qu’une science vers laquelle les têtes pensives doivent se tourner à la Chine, c’est la morale, la police et la législation, dont l’importance est d’autant plus grande qu’une société est plus nombreuse. C’est là que l’on connaît le mieux la vertu et qu’on la pratique le moins ; c’est là qu’il y a plus de
Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/56
Apparence