Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/168

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novateurs ; qu’il semait la division dans la maison, et qu’il éloignait l’esprit des religieuses de leur supérieure.

— Et d’où savez-vous cela ?

— De lui-même.

— Vous le voyez donc ?

— Oui, je le vois ; il m’a parlé de vous quelquefois.

— Qu’est-ce qu’il vous en a dit ?

— Que vous étiez bien à plaindre ; qu’il ne concevait pas comment vous aviez pu résister à toutes les peines que vous aviez souffertes ; que, quoiqu’il n’ait eu l’occasion de vous entretenir qu’une ou deux fois, il ne croyait pas que vous pussiez jamais vous accommoder de la vie religieuse ; qu’il avait dans l’esprit… »

Là, il s’arrêta tout court ; et moi j’ajoutai : « Qu’avait-il dans l’esprit ? »

Dom Morel me répondit : « Ceci est une affaire de confiance trop particulière pour qu’il me soit libre d’achever… »

Je n’insistai pas, j’ajoutai seulement : « Il est vrai que c’est le P. Lemoine qui m’a inspiré de l’éloignement pour ma supérieure.

— Il a bien fait.

— Et pourquoi ?

— Ma sœur, me répondit-il en prenant un air grave, tenez-vous-en à ses conseils, et tâchez d’en ignorer la raison tant que vous vivrez.

— Mais il me semble que si je connaissais le péril, je serais d’autant plus attentive à l’éviter.

— Peut-être aussi serait-ce le contraire.

— Il faut que vous ayez bien mauvaise opinion de moi.

— J’ai de vos mœurs et de votre innocence l’opinion que j’en dois avoir ; mais croyez qu’il y a des lumières funestes que vous ne pourriez acquérir sans y perdre. C’est votre innocence même qui en a imposé à votre supérieure ; plus instruite, elle vous aurait moins respectée.

— Je ne vous entends pas.

— Tant mieux.

— Mais que la familiarité et les caresses d’une femme peuvent-elles avoir de dangereux pour une autre femme ? »

Point de réponse de la part de dom Morel.