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vous tranquilliser et vous prouver ma manière de penser et l’attachement sincère avec lequel je suis, mademoiselle, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

À Caen, ce 21 février 1760.

J’écris à Mme Madin, qui pourra vous en dire davantage.


LETTRE
de madame madin à m. le marquis de croismare.


Monsieur, la guérison de notre chère malade est assurée : plus de fièvre, plus de mal de tête, tout annonce la convalescence la plus prompte et la meilleure santé. Les lèvres sont encore un peu pâles ; mais les yeux reprennent de l’éclat. La couleur commence à reparaître sur les joues ; les chairs ont de la fraîcheur et ne tarderont pas à reprendre leur fermeté ; tout va bien depuis qu’elle a l’esprit tranquille. C’est à présent, monsieur, qu’elle sent le prix de votre bienveillance ; et rien n’est plus touchant que la manière dont elle s’en exprime. Je voudrais bien pouvoir vous peindre ce qui se passa entre elle et moi lorsque je lui portai vos dernières lettres. Elle les prit, les mains lui tremblaient ; elle respirait avec peine en les lisant ; à chaque ligne elle s’arrêtait ; et, après avoir fini, elle me dit, en se jetant à mon cou, et en pleurant à chaudes larmes : « Eh bien ! madame Madin, Dieu ne m’a donc pas abandonnée ; il veut donc enfin que je sois heureuse. Oui, c’est Dieu qui m’a inspiré de m’adresser à ce cher monsieur : quel autre au monde eût pris pitié de moi ? Remercions le ciel de ces premières grâces, afin qu’il nous en accorde d’autres. » Et puis elle s’assit sur son lit, et elle se mit à prier ; ensuite, revenant sur quelques endroits de vos lettres, elle dit : « C’est sa fille qu’il me confie. Ah ! maman, elle lui ressemblera ; elle sera douce, bienfaisante et sensible comme lui. » Après s’être arrêtée, elle dit avec un peu de souci : « Elle n’a plus de mère ! Je regrette de n’avoir pas l’expérience qu’il me faudrait. Je ne sais rien, mais je ferai de mon mieux ; je me rappellerai le soir et le matin ce que je dois à son père : il faut que la reconnaissance supplée à bien des choses. Serai-je encore