Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/236

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postcript le transforment tout à coup en un homme de bien ou peu s’en faut.

Grandisson et Paméla sont aussi deux beaux ouvrages, mais je leur préfère Clarisse. Ici l’auteur ne fait pas un pas qui ne soit de génie.

Cependant on ne voit point arriver à la porte du lord le vieux père de Paméla, qui a marché toute la nuit ; on ne l’entend point s’adresser aux valets de la maison, sans éprouver les plus violentes secousses.

Tout l’épisode de Clémentine dans Grandisson est de la plus grande beauté.

Et quel est le moment où Clémentine et Clarisse deviennent deux créatures sublimes ? Le moment où l’une a perdu l’honneur et l’autre la raison.

Je ne me rappelle point, sans frisonner, l’entrée de Clémentine dans la chambre de sa mère, pâle, les yeux égarés, le bras ceint d’une bande, le sang coulant le long de son bras et dégouttant du bout de ses doigts, et son discours : Maman, voyez, c’est le vôtre. Cela déchire l’âme.

Mais pourquoi cette Clémentine est-elle si intéressante dans sa folie ? C’est que n’étant plus maîtresse des pensées de son esprit, ni des mouvements de son cœur, s’il se passait en elle quelque chose honteuse, elle lui échapperait. Mais elle ne dit pas un mot qui ne montre de la candeur et de l’innocence ; et son état ne permet pas de douter de ce qu’elle dit.

On m’a rapporté que Richardson avait passé plusieurs années dans la société, presque sans parler.

Il n’a pas eu toute la réputation qu’il méritait. Quelle passion que l’envie ! C’est la plus cruelle des Euménides : elle suit l’homme de mérite jusqu’au bord de sa tombe ; là, elle disparaît ; et la justice des siècles s’assied à sa place.

Ô Richardson ! si tu n’as pas joui de ton vivant de toute la réputation que tu méritais, combien tu seras grand chez nos neveux, lorsqu’ils te verront à la distance d’où nous voyons Homère ! Alors qui est-ce qui osera arracher une ligne de ton sublime ouvrage ? Tu as eu plus d’admirateurs encore parmi nous que dans ta patrie ; et je m’en réjouis. Siècles, hâtez-vous de couler et d’amener avec vous les honneurs qui sont dus à Richardson ! J’en atteste tous ceux qui m’écoutent : je n’ai