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RÉFLEXIONS SUR TÉRENCE


1762




Ce qui va suivre complète ce que nous avons dit en tête de l’Éloge de Richardson :

« Diderot est un critique supérieur, bien qu’il manque souvent d’une exacte justesse. Mais il sent ce qu’il juge ; il analyse avec éloquence. Son imagination se colore de celle d’autrui ; il prend le langage et l’accent des choses qu’il veut louer. Vous le croyez emphatique et déclamateur, c’est qu’il dissertait sur Sénèque. Mais lisez quelques pages qu’il a écrites sur Térence : on n’est pas plus simple, plus élégant, plus net ; on n’a pas plus de goût. Térence l’a frappé ; il en conserve l’image, comme un œil irritable, qui s’est fixé sur une vive et distincte couleur, en garde l’empreinte et la porte quelque temps avec soi.

« Diderot, dans ses causeries de salon, avait un jour parlé de Térence comme il parlait de tout, avec feu, avec ravissement. Puis il s’était enthousiasmé pour autre chose. M. Suard, homme d’esprit et qui faisait un journal, aurait bien voulu saisir au passage la première partie de l’entretien ; il pria Diderot de la mettre par écrit. Diderot promit pour le lendemain, et les mois s’écoulèrent sans qu’il remplît cet engagement sans cesse rappelé. Enfin, un jour, de grand matin, arrive chez M. Diderot le domestique de M. Suard, qui vient chercher l’article attendu, dit-il, pour finir le journal sous presse. Diderot, pour la vingtième fois, renvoyait au lendemain. Mais le messager déclare qu’il a ordre de rester et qu’il ne peut revenir sans copie, sous peine d’être chassé par son maître. Diderot, pressé, s’illumine de Térence ; et en quelques heures il le réfléchit dans le délicieux fragment : Térence était esclave… »

Villemain, Tableau de la littérature au xviiie siècle.


Térence était esclave du sénateur Terentius Lucanus. Térence esclave ! un des plus beaux génies de Rome ! l’ami de Lælius et