Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/240

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avec ceux qu’on appelait cursores, emissarii, lecticarii, peniculi, vestipicti unctores, ostiarii, etc., la valetaille d’une grande maison, qu’à comparer nos insipides courtisanes avec ces créatures charmantes qui enchaînèrent Périclès, et qui arrachèrent Démosthène de son cabinet ; à qui Épicure ne ferma point la porte de son école ; qui amusèrent Ovide, inspirèrent Horace, désolèrent Tibulle et le ruinèrent. Celles-ci réunissaient aux rares avantages de la figure et aux grâces de l’esprit les talents de la poésie, de la danse et de la musique, tous les charmes enfin qui peuvent attacher un homme de goût aux genoux d’une jolie femme. Qu’est-ce qu’il y a de commun entre Finette et Thaïs, Marton et Phryné, si l’on en excepte l’art de dépouiller leurs adorateurs, art encore mieux entendu d’une courtisane d’Athènes que des nôtres ?

Ces esclaves, instruits dans les sciences et les lettres, faisaient la gloire et les délices de leurs maîtres. Le don d’un pareil esclave était un beau présent ; et sa perte causait de vifs regrets. Mécène crut faire un grand sacrifice à Virgile en lui cédant un de ses esclaves. Dans une lettre, où Cicéron annonce à un de ses amis la mort de son père, ses larmes coulent aussi sur la perte d’un esclave, le compagnon de ses études et de ses travaux. Il faut cependant avouer que la morgue de la naissance patricienne et du rang sénatorial laissait toujours un grand intervalle entre le maître et son esclave. Je n’en veux pour exemple que ce qui arriva à Térence, lorsqu’il alla présenter son Andrienne à l’édile Acilius. Le poëte modeste arrive, mesquinement vêtu, son rouleau sous le bras. On l’annonce à l’inspecteur des théâtres ; celui-ci était à table. On introduit le poëte ; on lui donne un petit tabouret. Le voilà assis au pied du lit de l’édile. On lui fait signe de lire ; il lit. Mais à peine Acilius a-t-il entendu quelques vers, qu’il dit à Térence : Prenez place ici, dînons, et nous verrons le reste après. Si l’inspecteur des théâtres était un impertinent, comme cela peut arriver, c’était du moins un homme de goût, ce qui est plus rare.

Toutes les comédies de Térence furent applaudies. L’Hécyre seule, composée dans un genre particulier, eut moins de succès que les autres ; le poëte en avait banni le personnage plaisant. En se proposant d’introduire le goût d’une comédie tout à fait