Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/279

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aller, il voulait aller mourir avec lui ; et ce ne fut pas sans peine que le charbonnier et la charbonnière le détournèrent de ce dessein.

« Sur le milieu de la seconde nuit, il prit un fusil, il mit un sabre sous son bras, et s’adressant à voix basse au charbonnier… « Charbonnier !

« — Félix !

« — Prends ta cognée, et marchons.

« — Où !

« — Belle demande ! chez Olivier. »

« Ils vont ; mais tout en sortant de la forêt, les voilà enveloppés d’un détachement de maréchaussée.

« Je m’en rapporte à ce que m’en a dit la charbonnière ; mais il est inouï que deux hommes à pied aient pu tenir contre une vingtaine d’hommes à cheval : apparemment que ceux-ci étaient épars, et qu’ils voulaient se saisir de leur proie en vie. Quoi qu’il en soit, l’action fut très-chaude ; il y eut cinq chevaux d’estropiés et sept cavaliers de hachés ou sabrés. Le pauvre charbonnier resta mort sur la place d’un coup de feu à la tempe ; Félix regagna la forêt ; et comme il est d’une agilité incroyable, il courait d’un endroit à l’autre ; en courant, il chargeait son fusil, tirait, donnait un coup de sifflet. Ces coups de sifflet, ces coups de fusil donnés, tirés à différents intervalles et de différents côtés, firent craindre aux cavaliers de maréchaussée qu’il n’y eût là une horde de contrebandiers ; et ils se retirèrent en diligence.

« Lorsque Félix les vit éloignés, il revint sur le champ de bataille ; il mit le cadavre du charbonnier sur ses épaules, et reprit le chemin de la cabane, où la charbonnière et ses enfants dormaient encore. Il s’arrête à la porte, il étend le cadavre à ses pieds, et s’assied le dos appuyé contre un arbre et le visage tourné vers l’entrée de la cabane. Voilà le spectacle qui attendait la charbonnière au sortir de sa baraque.

« Elle s’éveille, elle ne trouve point son mari à côté d’elle ; elle cherche des yeux Félix, point de Félix. Elle se lève, elle sort, elle voit, elle crie, elle tombe à la renverse. Ses enfants accourent, ils voient, ils crient ; ils se roulent sur leur père, ils se roulent sur leur mère. La charbonnière, rappelée à elle-