Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/282

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vers la porte sur la pointe des pieds. Là, il s’arrêta, regarda vers le lit des deux femmes, essuya ses yeux de ses mains et sortit. Les deux femmes se serrèrent dans les bras l’une de l’autre et passèrent le reste de la nuit à pleurer. On ignore où il se réfugia ; mais il n’y a guère eu de semaines qu’il ne leur ait envoyé quelques secours.

« La forêt où la fille de la charbonnière vit avec le fils d’Olivier, appartient à un M. Leclerc de Rançonnières, homme fort riche et seigneur d’un autre village de ces cantons, appelé Courcelles[1]. Un jour que M. de Rançonnières ou de Courcelles, comme il vous plaira, faisait une chasse dans sa forêt, il arriva à la cabane du fils d’Olivier ; il y entra, il se mit à jouer avec les enfants, qui sont jolis ; il les questionna ; la figure de la femme, qui n’est pas mal, lui revint ; le ton ferme du mari, qui tient beaucoup de son père, l’intéressa ; il apprit l’aventure de leurs parents, il promit de solliciter la grâce de Félix ; il la sollicita et l’obtint.

« Félix passa au service de M. de Rançonnières, qui lui donna une place de garde-chasse.

« Il y avait environ deux ans qu’il vivait dans le château de Rançonnières, envoyant aux veuves une bonne partie de ses gages, lorsque l’attachement à son maître et la fierté de son caractère l’impliquèrent dans une affaire qui n’était rien dans son origine, mais qui eut les suites les plus fâcheuses.

« M. de Rançonnières avait pour voisin à Courcelles, un M. Fourmont, conseiller au présidial de Ch…[2]. Les deux maisons n’étaient séparées que par une borne ; cette borne gênait la porte de M. de Rançonnières et en rendait l’entrée difficile aux voitures. M. de Rançonnières la fit reculer de quelques pieds du côté de M. Fourmont ; celui-ci renvoya la borne d’autant sur M. de Rançonnières ; et puis voilà de la haine, des insultes, un procès entre les deux voisins. Le procès de la borne en suscita deux ou trois autres plus considérables. Les choses en étaient là, lorsqu’un soir M. de Rançonnières, revenant de la chasse, accompagné de son garde Félix, fit rencontre, sur le

  1. Sur une copie qui est en notre possession, Rançonnières est remplacé par Romainville, et Courcelles par Jolibois.
  2. Toutes les éditions portent Lh… au lieu de Ch… Diderot a voulu désigner Chaumont. (Br.)