Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/307

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MON FRÈRE.

Sans la loi tout est à tous, et il n’y a plus de propriété.

MOI.

Vous vous trompez, mon frère.

MON FRÈRE.

Et qu’est-ce qui fonde donc la propriété ?

MOI.

Primitivement, c’est la prise de possession par le travail. La nature a fait les bonnes lois de toute éternité ; c’est une force légitime qui en assure l’exécution ; et cette force, qui peut tout contre le méchant, ne peut rien contre l’homme de bien. Je suis cet homme de bien ; et dans ces circonstances et beaucoup d’autres que je vous détaillerais, je la cite au tribunal de mon cœur, de ma raison, de ma conscience, au tribunal de l’équité naturelle ; je l’interroge, je m’y soumets ou je l’annule.

MON PÈRE.

Prêche ces principes-là sur les toits, je te promets qu’ils feront fortune, et tu verras les belles choses qui en résulteront.

MOI.

Je ne les prêcherai pas ; il y a des vérités qui ne sont pas faites pour les fous ; mais je les garderai pour moi.

MON PÈRE.

Pour toi qui es un sage ?

MOI.

Assurément.

MON PÈRE.

D’après cela, je pense bien que tu n’approuveras pas autrement la conduite que j’ai tenue dans l’affaire du curé de Thivet. Mais toi, l’abbé, qu’en penses-tu ?

L’ABBÉ.

Je pense, mon père, que vous avez agi prudemment de consulter, et d’en croire le père Bouin ; et que si vous eussiez suivi votre premier mouvement, nous étions en effet ruinés.

MON PÈRE.

Et toi, grand philosophe, tu n’es pas de cet avis ?