Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

M. Sornin, vicaire de Saint-Roch, qui ferait le sermon, et M. Thierry, chancelier de l’Université, qui recevrait mes vœux. Tout alla bien jusqu’à la veille du grand jour, excepté qu’ayant appris que la cérémonie serait clandestine, qu’il y aurait très-peu de monde, et que la porte de l’église ne serait ouverte qu’aux parents, j’appelai par la tourière toutes les personnes de notre voisinage, mes amis, mes amies ; j’eus la permission d’écrire à quelques-unes de mes connaissances. Tout ce concours auquel on ne s’attendait guère se présenta ; il fallut le laisser entrer ; et l’assemblée fut telle à peu près qu’il la fallait pour mon projet. Oh, monsieur ! quelle nuit que celle qui précéda[1] ! Je ne me couchai point ; j’étais assise sur mon lit ; j’appelais Dieu à mon secours ; j’élevais mes mains au ciel, je le prenais à témoin de la violence qu’on me faisait ; je me représentais mon rôle au pied des autels, une jeune fille protestant à haute voix contre une action à laquelle elle paraît avoir consenti, le scandale des assistants, le désespoir des religieuses, la fureur de mes parents. « Dieu ! que vais-je devenir ?… » En prononçant ces mots il me prit une défaillance générale, je tombai évanouie sur mon traversin ; un frisson dans lequel mes genoux se battaient et mes dents se frappaient avec bruit, succéda à cette défaillance ; à ce frisson une chaleur terrible : mon esprit se troubla. Je ne me souviens ni de m’être déshabillée, ni d’être sortie de ma cellule ; cependant on me trouva nue en chemise, étendue par terre à la porte de la supérieure, sans mouvement et presque sans vie. J’ai appris ces choses depuis. Le matin je me trouvai dans ma cellule, mon lit environné de la supérieure, de la mère des novices, et de celles qu’on appelle les assistantes. J’étais fort abattue ; on me fit quelques questions ; on vit par mes réponses que je n’avais aucune connaissance de ce qui s’était passé ; et l’on ne m’en parla pas. On me demanda comment je me portais, si je persistais dans ma sainte résolution, et si je me sentais en état de supporter la fatigue du jour. Je répondis que oui ; et contre leur attente rien ne fut dérangé.

On avait tout disposé dès la veille. On sonna les cloches pour apprendre à tout le monde qu’on allait faire une malheureuse. Le cœur me battit encore. On vint me parer ; ce jour est

  1. Variante : Que la nuit qui précéda fut terrible pour moi !