Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’a dessiné courbé et les mains sous les basques de son habit[1] ! Moi qui ai composé des pièces de clavecin que personne ne joue, mais qui seront peut-être les seules qui passeront à la postérité qui les jouera ; moi ! moi enfin ! j’irais !… Tenez, monsieur, cela ne se peut (et mettant sa main droite sur sa poitrine, il ajoutait) : je me sens là quelque chose qui s’élève et qui me dit : Rameau, tu n’en feras rien. Il faut qu’il y ait une certaine dignité attachée à la nature de l’homme, que rien ne peut étouffer. Cela se réveille à propos de bottes, oui, à propos de bottes, car il y a d’autres jours où il ne m’en coûterait rien pour être vil tant qu’on voudrait ; ces jours-là, pour un liard, je baiserais le cul à la petite Hus[2].

moi.

Eh ! mais, l’ami, elle est blanche, jolie, douce, potelée, et c’est un acte d’humilité auquel un plus délicat que vous pourrait quelquefois s’abaisser.

lui.

Entendons-nous ; c’est qu’il y a baiser le cul au simple, et baiser le cul au figuré. Demandez au gros Bergier qui baise le cul de Mme de La Marck au simple et au figuré ; et ma foi, le simple et le figuré me déplaisent également là[3].

moi.

Si l’expédient que je vous suggère ne vous convient pas, ayez donc le courage d’être gueux.

lui.

Il est dur d’être gueux, tandis qu’il y a tant de sots opu-

  1. C’est l’oncle que Carmontelle a dessiné ainsi, de mémoire, dit Grimm. Ce portrait en pied, de profil à gauche, existe en deux états au cabinet des Estampes. Le premier est signé C ; le second L. C. de Carmontelle pinxit et sculpsit ; au milieu Rameau, musicien. Le laconisme de cette légende ne pouvait prêter à une confusion entre les deux Rameaux que dans l’esprit du neveu ; c’est un trait de naïve vanité de sa part, que sa façon de signifier à tout le monde que ce n’est pas lui que l’artiste a voulu représenter.
  2. Les éditions françaises mettent : « d’une catin, » et ne donnent pas les deux alinéas qui suivent, qui sont dans Gœthe et dans notre copie.
  3. Mme la duchesse de La Marck fut une des dames qui s’intéressa le plus vivement à la représentation et au succès de la comédie des Philosophes. Bergier, docteur de Sorbonne, censeur pour les pièces de théâtre, qui encourut des reproches pour avoir laissé représenter les Druides, pourrait bien être celui dont veut parler Diderot ; mais, dans le doute, nous devons rapprocher les noms, sans rapprocher les personnes.