Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/426

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spécieux que solide : mais laissons cela ; vous avez montré, dites-vous, l’accompagnement et la composition ?

lui.

Oui.

moi.

Et vous n’en saviez rien du tout ?

lui.

Non, ma foi ; et c’est pour cela qu’il y en avait de pires que moi, ceux qui croyaient savoir quelque chose. Au moins je ne gâtais ni le jugement ni les mains des enfants. En passant de moi à un bon maître, comme ils n’avaient rien appris, du moins ils n’avaient rien à désapprendre, et c’était toujours autant d’argent et de temps épargné.

moi.

Comment faisiez-vous ?

lui.

Comme ils font tous. J’arrivais, je me jetais dans ma chaise. « Que le temps est mauvais ! que le pavé est fatigant ! » Je bavardais quelques nouvelles : « Mlle Lemierre[1] devait faire un rôle de Vestale dans l’opéra nouveau ; mais elle est grosse pour la seconde fois ; on ne sait qui la doublera. Mlle Arnould vient de quitter son petit comte ; on dit qu’elle est en négociation avec Bertin[2]. Le petit comte a pourtant trouvé la porcelaine de M. de Montamy[3]. Il y avait, au dernier concert des amateurs, une Italienne qui a chanté comme un ange. C’est un rare corps que ce Préville, il faut le voir dans le Mercure galant[4], l’endroit de l’énigme est impayable. Cette pauvre

  1. « Qui ne serait enchanté de la méthode, du goût, du prestige avec lequel Mlle Lemierre vous peint tous les objets sensibles de la nature ! Sa voix est une magie continuelle. C’est tour à tour un rossignol qui chante, un ruisseau qui murmure, un zéphyr qui folâtre… » (Mémoires secrets, 8 janvier 1702.) La même année, Mlle Lemierre se maria avec Larrivée, son camarade à l’Opéra.
  2. Mlle Arnould, en 1762, voulut, en effet, rompre avec le comte de Lauraguais, qui l’excédait par sa jalousie, et elle passa à Bertin, mécontent d’avoir trouvé Mlle Hus couchée avec le fils Vieillard (Voir ci-dessus, p. 403, note 1). Mme de Lauraguais intervint dans cette affaire pour faire accepter à Mlle Arnould un contrat de rente viagère de 2,000 écus.
  3. Nous retrouverons plus loin M. de Montamy et sa porcelaine.
  4. Le Mercure galant, ou la Comédie sans titre, qui est de 1679, fut repris pour les débuts de Préville, en 1743. Il y remplissait six rôles différents.