Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/430

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ancienne, plus il y a d’idiotismes ; plus les temps sont malheureux, plus les idiotismes se multiplient. Tant vaut l’homme, tant vaut le métier, et réciproquement, à la fin, tant vaut le métier, tant vaut l’homme. On fait donc valoir le métier tant qu’on peut.

moi.

Ce que je conçois clairement à tout cet entortillage, c’est qu’il y a peu de métiers honnêtement exercés, ou peu d’honnêtes gens dans leurs métiers.

lui.

Bon ! il n’y en a point ; mais en revanche il y a peu de fripons hors de leur boutique, et tout irait assez bien sans un certain nombre de gens qu’on appelle assidus, exacts, remplissant rigoureusement leur devoir, stricts, ou, ce qui revient au même, toujours dans leur boutique, et faisant leur métier depuis le matin jusqu’au soir, et ne faisant que cela. Aussi sont-ils les seuls qui deviennent opulents et qui soient estimés.

moi.

À force d’idiotismes.

lui.

C’est cela ; je vois que vous m’avez compris. Or donc un idiotisme de presque tous les états, car il y en a de communs à tous les pays, à tous les temps, comme il y a des sottises communes ; un idiotisme commun est de se procurer le plus de pratiques que l’on peut : une sottise commune est de croire que le plus habile est celui qui en a le plus. Voilà deux exceptions à la conscience générale auxquelles il faut se plier. C’est une espèce de crédit, ce n’est rien en soi ; mais cela vaut par l’opinion. On a dit que bonne renommée valait mieux que ceinture dorée ; cependant qui a bonne renommée n’a pas ceinture dorée, et je vois aujourd’hui que qui a ceinture dorée ne manque guère de renommée. Il faut, autant qu’il est possible, avoir le renom et la ceinture, et c’est mon objet lorsque je me fais valoir par ce que vous qualifiez d’adresses viles, d’indignes petites ruses. Je donne ma leçon et je la donne bien : voilà la règle générale ; je fais croire que j’en ai plus à donner que la journée n’a d’heures, voilà l’idiotisme.