Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/458

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— Et qui donc ? »

Je nommais tout bas.

« Elle !

— Oui, elle, » répétais-je, un peu honteux, car j’ai quelquefois de la pudeur, et à ce nom il fallait voir comme la physionomie du poëte s’allongeait, et d’autres fois comme on m’éclatait au nez. Cependant, bon gré mal gré qu’il en eût, il fallait que j’amenasse mon homme à dîner ; et lui qui craignait de s’engager, rechignait, remerciait. Il fallait voir comme j’étais traité quand je ne réussissais pas dans ma négociation : j’étais un butor, un sot, un balourd, je n’étais bon à rien ; je ne valais pas le verre d’eau qu’on me donnait à boire. C’était bien pis lorsqu’on jouait, et qu’il fallait aller intrépidement au milieu des huées d’un public qui juge bien, quoi qu’on en dise, faire entendre mes claquements de mains isolés, attacher les regards sur moi, quelquefois dérober les sifflets à l’actrice, et ouïr chuchoter à côté de soi : « c’est un des valets déguisés de celui qui couche. Ce maraud-là se taira-t-il ?… » On ignore ce qui peut déterminer à cela ; on croit que c’est ineptie, tandis que c’est un motif qui excuse tout.

moi.

Jusqu’à l’infraction des lois civiles.

lui.

À la fin cependant j’étais connu, et l’on disait : « Oh ! c’est Rameau… » Ma ressource était de jeter quelques mots ironiques qui sauvassent du ridicule mon applaudissement solitaire qu’on interprétait à contre-sens. Convenez qu’il faut un puissant intérêt pour braver ainsi le public assemblé, et que chacune de ces corvées valait mieux qu’un petit écu ?

moi.

Que ne vous faisiez-vous prêter main-forte ?

lui.

Cela m’arrivait aussi, et je glanais un peu là-dessus. Avant que de se rendre au lieu du supplice, il fallait se charger la mémoire des endroits brillants où il importait de donner le ton. S’il m’arrivait de les oublier ou de me méprendre, j’en avais le tremblement à mon retour ; c’était un vacarme dont vous n’avez pas d’idée. Et puis à la maison une meute de chiens à soigner ; il est vrai que je m’étais sottement imposé cette tâche ; des