Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/459

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chats dont j’avais la surintendance. J’étais trop heureux si Micou me favorisait d’un coup de griffe qui déchirât ma manchette ou ma main. Criquette est sujette à la colique ; c’est moi qui lui frotte le ventre. Autrefois mademoiselle avait des vapeurs, ce sont aujourd’hui les nerfs. Je ne parle point d’autres indispositions légères dont on ne se gêne point devant moi. Pour ceci, passe, je n’ai jamais prétendu contraindre ; j’ai lu je ne sais où, qu’un prince surnommé le Grand, restait quelquefois appuyé sur le dossier de la chaise percée de sa maîtresse[1]. On en use à son aise avec ses familiers, et j’en étais ces jours-là plus que personne. Je suis apôtre de la familiarité et de l’aisance ; je les prêchais là d’exemple, sans qu’on s’en formalisât ; il n’y avait qu’à me laisser. Je vous ai ébauché le patron. Mademoiselle commence à devenir pesante, il faut entendre les bons contes qu’ils en font.

moi.

Vous n’êtes pas de ces gens-là ?

lui.

Pourquoi non ?

moi.

C’est qu’il est au moins indécent de donner du ridicule à ses bienfaiteurs.

lui.

Mais n’est-ce pas pis encore de s’autoriser de ses bienfaits pour avilir son protégé ?

moi.

Mais si le protégé n’était pas vil par lui-même, rien ne donnerait au protecteur cette autorité.

lui.

Mais si les personnages n’étaient pas ridicules par eux-mêmes, on n’en ferait pas de bons contes. Et puis est-ce ma faute s’ils s’encanaillent ? Est-ce ma faute, lorsqu’ils sont encanaillés, si on les trahit, si on les bafoue ? Quand on se résout à vivre avec des gens comme nous et qu’on a le sens commun, il y a je ne sais combien de noirceurs auxquelles il faut s’attendre. Quand on nous prend, ne nous connaît-on pas pour ce que nous sommes, pour des âmes intéressées, viles et perfides ? Si l’on nous con-

  1. Ce passage manque dans les précédentes éditions.