Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/462

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reurs généraux, l’un à votre porte, qui châtie les délits contre la société ; la nature est l’autre. Celle-ci connaît de tous les vices qui échappent aux lois. Vous vous livrez à la débauche des femmes, vous serez hydropique ; vous êtes crapuleux, vous serez poumonique ; vous ouvrez votre porte à des marauds et vous vivez avec eux, vous serez trahi, persiflé, méprisé ; le plus court est de se résigner à l’équité de ces jugements, et de se dire à soi-même : c’est bien fait ; de secouer ses oreilles et de s’amender, ou de rester ce qu’on est, mais aux conditions susdites.

moi.

Vous avez raison.

lui.

Au demeurant, de ces mauvais contes, moi, je n’en invente aucun, je m’en tiens au rôle de colporteur. Ils disent qu’il y a quelques jours, sur les cinq heures du matin, on entendit un vacarme enragé ; toutes les sonnettes étaient en branle, c’étaient les cris interrompus et sourds d’un homme qu’on étouffe : « à moi… moi… je suffoque… je meurs… » Ces cris partaient de l’appartement du patron. On arrive, on le secourt. Notre grosse créature dont la tête était égarée, qui n’y était plus, qui n’y voyait plus, comme il arrive dans ce moment, s’élevait sur ses deux mains, et du plus haut qu’elle pouvait, laissait retomber sur les parties casuelles un poids de deux ou trois cents livres, animé de toute la vitesse que donne la fureur du plaisir. On eut beaucoup de peine à le dégager de là. Quelle diable de fantaisie à un petit marteau de se placer sous une lourde enclume[1] ?

moi.

Vous êtes un polisson. Parlons d’autre chose. Depuis que nous causons, j’ai une question sur la lèvre.

lui.

Pourquoi l’avoir arrêtée là si longtemps ?

moi.

C’est que j’ai craint qu’elle ne fût indiscrète.

lui.

Après ce que je viens de vous révéler, j’ignore quel secret je puis avoir pour vous.

  1. Cette anecdote a été supprimée par Gœthe.