Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/51

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ceux qui ont souffert une longue maladie, qui ont parlé avec jugement, qui ont reçu les sacrements, et qui, rendus à la santé, n’en ont aucune mémoire. J’en ai vu plusieurs exemples dans la maison ; et je me suis dit à moi-même : « Voilà apparemment ce qui m’est arrivé le jour que j’ai fait profession. » Mais il reste à savoir si ces actions sont de l’homme, et s’il y est, quoiqu’il paraisse y être.


Je fis dans la même année trois pertes intéressantes : celle de mon père, ou plutôt de celui qui passait pour tel ; il était âgé, il avait beaucoup travaillé ; il s’éteignit : celle de ma supérieure, et celle de ma mère.

Cette digne religieuse sentit de loin son heure approcher ; elle se condamna au silence ; elle fit porter sa bière dans sa chambre ; elle avait perdu le sommeil, et elle passait les jours et les nuits à méditer et à écrire : elle a laissé quinze méditations qui me semblent à moi de la plus grande beauté ; j’en ai une copie. Si quelque jour vous étiez curieux de voir les idées que cet instant suggère, je vous les communiquerais ; elles sont intitulées : Les derniers instants de la Sœur de Moni.

À l’approche de sa mort, elle se fit habiller, elle était étendue sur son lit : on lui administra les derniers sacrements ; elle tenait un christ entre ses bras. C’était la nuit ; la lueur des flambeaux éclairait cette scène lugubre. Nous l’entourions, nous fondions en larmes, sa cellule retentissait de cris, lorsque tout à coup ses yeux brillèrent ; elle se releva brusquement, elle parla ; sa voix était presque aussi forte que dans l’état de santé ; le don qu’elle avait perdu lui revint : elle nous reprocha des larmes qui semblaient lui envier un bonheur éternel. « Mes enfants, votre douleur vous en impose. C’est là, c’est là, disait-elle en montrant le ciel, que je vous servirai ; mes yeux s’abaisseront sans cesse sur cette maison ; j’intercéderai pour vous, et je serai exaucée. Approchez toutes, que je vous embrasse, venez recevoir ma bénédiction et mes adieux… » C’est en prononçant ces dernières paroles que trépassa cette femme rare, qui a laissé après elle des regrets qui ne finiront point.

Ma mère mourut au retour d’un petit voyage qu’elle fit, sur la fin de l’automne, chez une de ses filles. Elle eut du chagrin, sa santé avait été fort affaiblie. Je n’ai jamais su ni le nom de