Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/54

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rieure actuelle, par la raison que la précédente m’avait chérie ; mais je ne tardai pas à empirer mon sort par des actions que vous appellerez ou imprudence, ou fermeté, selon le coup d’œil sous lequel vous les considérerez.

La première, ce fut de m’abandonner à toute la douleur que je ressentais de la perte de notre première supérieure ; d’en faire l’éloge en toute circonstance ; d’occasionner entre elle et celle qui nous gouvernait des comparaisons qui n’étaient pas favorables à celle-ci ; de peindre l’état de la maison sous les années passées ; de rappeler au souvenir la paix dont nous jouissions, l’indulgence qu’on avait pour nous, la nourriture tant spirituelle que temporelle qu’on nous administrait alors, et d’exalter les mœurs, les sentiments, le caractère de la sœur de Moni. La seconde, ce fut de jeter au feu le cilice, et de me défaire de ma discipline ; de prêcher des amies là-dessus, et d’en engager quelques-unes à suivre mon exemple ; la troisième, de me pourvoir d’un Ancien et d’un Nouveau Testament ; la quatrième, de rejeter tout parti, de m’en tenir au titre de chrétienne, sans accepter le nom de janséniste ou de moliniste ; la cinquième, de me renfermer rigoureusement dans la règle de la maison, sans vouloir rien faire ni en delà ni en deçà ; conséquemment, de ne me prêter à aucune action surérogatoire, celles d’obligation ne me paraissant déjà que trop dures ; de ne monter à l’orgue que les jours de fête ; de ne chanter que quand je serais de chœur ; de ne plus souffrir qu’on abusât de ma complaisance et de mes talents, et qu’on me mît à tout et à tous les jours. Je lus les constitutions, je les relus, je les savais par cœur ; si l’on m’ordonnait quelque chose, ou qui n’y fût pas exprimé clairement, ou qui n’y fût pas, ou qui m’y parût contraire, je m’y refusais fermement ; je prenais le livre, et je disais : « Voilà les engagements que j’ai pris, et je n’en ai point pris d’autres. »

Mes discours en entraînèrent quelques-unes. L’autorité des maîtresses se trouva très-bornée ; elles ne pouvaient plus disposer de nous comme de leurs esclaves. Il ne se passait presque aucun jour sans quelque scène d’éclat. Dans les cas incertains, mes compagnes me consultaient : et j’étais toujours pour la règle contre le despotisme. J’eus bientôt l’air, et peut-être un peu le jeu d’une factieuse. Les grands vicaires de M. l’archevêque