Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/59

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m’occuper de mon mémoire, et de laisser là ma confession ; et la troisième, n’ayant point fait de confession et n’étant point préparée à cet acte de religion, de ne demeurer au confessionnal qu’un instant. Tout cela fut remarqué ; et l’on en conclut que le papier que j’avais demandé avait été employé autrement que je ne l’avais dit. Mais s’il n’avait pas servi à ma confession, comme il était évident, quel usage en avais-je fait ?

Sans savoir qu’on prendrait ces inquiétudes, je sentis qu’il ne fallait pas qu’on trouvât chez moi un écrit de cette importance. D’abord je pensai à le coudre dans mon traversin ou dans mes matelas, puis à le cacher dans mes vêtements, à l’enfouir dans le jardin, à le jeter au feu. Vous ne sauriez croire combien je fus pressée de l’écrire, et combien j’en fus embarrassée quand il fut écrit. D’abord je le cachetai, ensuite je le serrai dans mon sein, et j’allai à l’office qui sonnait. J’étais dans une inquiétude qui se décelait à mes mouvements. J’étais assise à côté d’une jeune religieuse qui m’aimait ; quelquefois je l’avais vue me regarder en pitié et verser des larmes : elle ne me parlait point, mais certainement elle souffrait. Au risque de tout ce qui pourrait en arriver, je résolus de lui confier mon papier ; dans un moment d’oraison où toutes les religieuses se mettent à genoux, s’inclinent, et sont comme plongées dans leurs stalles, je tirai doucement le papier de mon sein, et je le lui tendis derrière moi ; elle le prit, et le serra dans le sien. Ce service fut le plus important de ceux qu’elle m’avait rendus ; mais j’en avais reçu beaucoup d’autres : elle s’était occupée pendant des mois entiers à lever, sans se compromettre, tous les petits obstacles qu’on apportait à mes devoirs pour avoir droit de me châtier ; elle venait frapper à ma porte quand il était heure de sortir ; elle arrangeait ce qu’on dérangeait ; elle allait sonner ou répondre quand il le fallait ; elle se trouvait partout où je devais être. J’ignorais tout cela.

Je fis bien de prendre ce parti. Lorsque nous sortîmes du chœur, la supérieure me dit : « Sœur Suzanne, suivez-moi… » Je la suivis, puis s’arrêtant dans le corridor à une autre porte, « voilà, me dit-elle, votre cellule ; c’est la sœur Saint-Jérôme qui occupera la vôtre… » J’entrai, et elle avec moi. Nous étions toutes deux assises sans parler, lorsqu’une religieuse parut avec des habits qu’elle posa sur une chaise ; et la supérieure me dit :