Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/145

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servit de bonne heure ; on dîna : on dîna gaiement. Après dîner, Mme de La Pommeraye propose une promenade au marquis, s’il n’avait rien de plus agréable à faire. Il n’y avait ce jour-là ni Opéra, ni comédie ; ce fut le marquis qui en fit la remarque ; et pour se dédommager d’un spectacle amusant par un spectacle utile, le hasard voulut que ce fut lui-même qui invita la marquise à aller voir le Cabinet du Roi. Il ne fut pas refusé, comme vous pensez bien. Voilà les chevaux mis ; les voilà partis ; les voilà arrivés au Jardin du Roi ; et les voilà mêlés dans la foule, regardant tout, et ne voyant rien, comme les autres…


Lecteur, j’avais oublié de vous peindre le site des trois personnages dont il s’agit ici : Jacques, son maître et l’hôtesse ; faute de cette attention, vous les avez entendus parler, mais vous ne les avez point vus ; il vaut mieux tard que jamais. Le maître, à gauche, en bonnet de nuit, en robe de chambre, était étalé nonchalamment dans un grand fauteuil de tapisserie, son mouchoir jeté sur le bras du fauteuil, et sa tabatière à la main. L’hôtesse sur le fond, en face de la porte, proche la table, son verre devant elle. Jacques, sans chapeau, à sa droite, les deux coudes appuyés sur la table, et la tête penchée entre deux bouteilles : deux autres étaient à terre à côté de lui.


Au sortir du Cabinet, le marquis et sa bonne amie se promenèrent dans le jardin. Ils suivaient la première allée qui est à droite en entrant, proche l’école des arbres, lorsque Mme de La Pommeraye fit un cri de surprise, en disant : « Je ne me trompe pas, je crois que ce sont elles ; oui, ce sont elles-mêmes. »

Aussitôt on quitte le marquis, et l’on s’avance à la rencontre de nos deux dévotes. La fille d’Aisnon était à ravir sous ce vêtement simple, qui, n’attirant point le regard, fixe l’attention tout entière sur la personne. « Ah ! c’est vous, madame ?

— Oui, c’est moi.

— Et comment vous portez-vous, et qu’êtes-vous devenue depuis une éternité ?

— Vous savez nos malheurs ; il a fallu s’y résigner, et vivre retirées comme il convenait à notre petite fortune ; sortir du monde, quand on ne peut plus s’y montrer décemment.

— Mais, moi, me délaisser, moi qui ne suis pas du monde,