Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/196

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n’en fallait pour mettre cinquante moines dans l’in pace. Leur séjour avait été long, mais leur menée si adroite qu’il n’en était rien transpiré. Hudson, tout fin qu’il était, touchait au moment de sa perte, qu’il n’en avait pas le moindre soupçon. Cependant le peu d’attention de ces nouveaux venus à lui faire la cour, le secret de leur voyage, leurs fréquentes conférences avec les autres religieux, leurs sorties tantôt ensemble, tantôt séparés ; l’espèce de gens qu’ils visitaient et dont ils étaient visités, lui causèrent quelque inquiétude. Il les épia, il les fit épier ; et bientôt l’objet de leur mission fut évident pour lui. Il ne se déconcerta point ; il s’occupa profondément de la manière, non d’échapper à l’orage qui le menaçait, mais de l’attirer sur la tête des deux commissaires : et voici le parti très extraordinaire auquel il s’arrêta.

Il avait séduit une jeune fille qu’il tenait cachée dans un petit logement du faubourg Saint-Médard. Il court chez elle, et lui tient le discours suivant : « Mon enfant, tout est découvert, nous sommes perdus ; avant huit jours vous serez renfermée, et j’ignore ce qu’il sera fait de moi. Point de désespoir, point de cris ; remettez-vous de votre trouble. Écoutez-moi, faites ce que je vous dirai, faites-le bien, je me charge du reste. Demain je pars pour la campagne. Pendant mon absence, allez trouver deux religieux que je vais vous nommer. (Et il lui nomma les deux commissaires.) Demandez à leur parler en secret. Seule avec eux, jetez-vous à leurs genoux, implorez leurs secours, implorez leur justice, implorez leur médiation auprès du général, sur l’esprit duquel vous savez qu’ils peuvent beaucoup ; pleurez, sanglotez, arrachez-vous les cheveux ; et en pleurant, sanglotant, vous arrachant les cheveux, racontez-leur toute notre histoire, et la racontez de la manière la plus propre à inspirer de la commisération pour vous, de l’horreur contre moi…

— Comment, monsieur, je leur dirai…

— Oui, vous leur direz qui vous êtes, à qui vous appartenez, que je vous ai séduite au tribunal de la confession, enlevée d’entre les bras de vos parents, et reléguée dans la maison où vous êtes. Dites qu’après vous avoir ravi l’honneur et précipitée dans le crime, je vous ai abandonnée à la misère ; dites que vous ne savez plus que devenir.

— Mais, Père…