Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/242

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lui reviennent à très-bon prix. Au reste, voyez-les, la vue ne vous en coûtera rien… »

Je représentai à Merval et au chevalier, que mon état n’était pas de vendre ; et que, quand cet arrangement ne me répugnerait pas, ma position ne me laisserait pas le temps d’en tirer parti. Les officieux Le Brun et Mathieu de Fourgeot dirent tous à la fois : « Qu’à cela ne tienne, nous vendrons pour vous : c’est l’embarras d’une demi-journée… » Et la séance fut remise à l’après-midi chez M. de Merval, qui, me frappant doucement sur l’épaule, me disait d’un ton onctueux et pénétré : « Monsieur, je suis charmé de vous obliger ; mais croyez-moi, faites rarement de pareils emprunts ; ils finissent toujours par ruiner. Ce serait un miracle, dans ce pays-ci, que vous eussiez encore à traiter une fois avec d’aussi honnêtes gens que MM. Le Brun et Mathieu de Fourgeot… »

Le Brun et Fourgeot de Mathieu, ou Mathieu de Fourgeot, le remercièrent en s’inclinant, et lui disant qu’il avait bien de la bonté, qu’ils avaient tâché jusqu’à présent de faire leur petit commerce en conscience, et qu’il n’y avait pas de quoi les louer.

Merval.

Vous vous trompez, messieurs, car qui est-ce qui a de la conscience à présent ? Demandez à M. le chevalier de Saint-Ouin, qui doit en savoir quelque chose…

Nous voilà sortis de chez Merval, qui nous demande, du haut de son escalier, s’il peut compter sur nous et faire avertir sa marchande. Nous lui répondons que oui ; et nous allons tous quatre dîner dans une auberge voisine, en attendant l’heure du rendez-vous.

Ce fut Mathieu de Fourgeot qui commanda le dîner, et qui le commanda bon. Au dessert, deux marmottes s’approchèrent de notre table avec leurs vielles ; Le Brun les fit asseoir. On les fit boire, on les fit jaser, on les fit jouer. Tandis que mes trois convives s’amusaient à en chiffonner une, sa compagne, qui était à côté de moi, me dit tout bas : « Monsieur, vous êtes là en bien mauvaise compagnie : il n’y a pas un de ces gens-là qui n’ait son nom sur le livre rouge[1]. »

  1. Registre de police.