Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/254

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— Pardonnez-moi, s’il vous plaît, elles ont même duré assez longtemps ; mais tu es venu, tu as vu et tu as vaincu. Je me suis aperçu qu’on te regardait beaucoup, et qu’on ne me regardait plus guère ; je me le suis tenu pour dit. Nous sommes restés bons amis ; on me confie ses petites pensées, on suit quelquefois mes conseils ; et faute de mieux, j’ai accepté le rôle de subalterne auquel tu m’as réduit. »

Jacques.

Monsieur, deux choses : l’une, c’est que je n’ai jamais pu suivre mon histoire sans qu’un diable ou un autre m’interrompît, et que la vôtre va tout de suite. Voilà le train de la vie ; l’un court à travers les ronces sans se piquer ; l’autre a beau regarder où il met le pied, il trouve des ronces dans le plus beau chemin, et arrive au gîte écorché tout vif.

Le maître.

Est-ce que tu as oublié ton refrain ; et le grand rouleau, et l’écriture d’en haut ?

Jacques.

L’autre chose, c’est que je persiste dans l’idée que votre chevalier de Saint-Ouin est un grand fripon ; et qu’après avoir partagé votre argent avec les usuriers Le Brun, Merval, Mathieu de Fourgeot ou Fourgeot de Mathieu, la Bridoie, il cherche à vous embâter de sa maîtresse, en tout bien et tout honneur s’entend, par-devant notaire et curé, afin de partager encore avec vous votre femme… Ahi ! la gorge !…

Le maître.

Sais-tu ce que tu fais là ? une chose très commune et très impertinente.

Jacques.

J’en suis bien capable.

Le maître.

Tu te plains d’avoir été interrompu, et tu interromps.

Jacques.

C’est l’effet du mauvais exemple que vous m’avez donné. Une mère veut être galante, et veut que sa fille soit sage ; un père veut être dissipateur, et veut que son fils soit économe ; un maître veut…