Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/255

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Le maître.

Interrompre son valet, l’interrompre tant qu’il lui plaît, et n’en pas être interrompu.


Lecteur, est-ce que vous ne craignez pas de voir se renouveler ici la scène de l’auberge où l’un criait : « Tu descendras » ; l’autre : « Je ne descendrai pas » ? À quoi tient-il que je ne vous fasse entendre : « J’interromprai, tu n’interrompras pas ? » Il est certain que, pour peu que j’agace Jacques ou son maître, voilà la querelle engagée ; et si je l’engage une fois, qui sait comment elle finira ? Mais la vérité est que Jacques répondit modestement à son maître : Monsieur, je ne vous interromps pas ; mais je cause avec vous, comme vous m’en avez donné la permission.

Le maître.

Passe ; mais ce n’est pas tout.

Jacques.

Quelle autre incongruité puis-je avoir commise ?

Le maître.

Tu vas anticipant sur le raconteur, et tu lui ôtes le plaisir qu’il s’est promis de ta surprise ; en sorte qu’ayant, par une ostentation de sagacité très déplacée, deviné ce qu’il avait à te dire, il ne lui reste plus qu’à se taire, et je me tais.

Jacques.

Ah ! mon maître !

Le maître.

Que maudits soient les gens d’esprit !

Jacques.

D’accord ; mais vous n’aurez pas la cruauté…

Le maître.

Conviens du moins que tu le mériterais.

Jacques.

D’accord ; mais avec tout cela vous regarderez à votre montre l’heure qu’il est, vous prendrez votre prise de tabac, votre humeur cessera, et vous continuerez votre histoire.

Le maître.

Ce drôle-là fait de moi tout ce qu’il veut…

Quelques jours après cet entretien avec le chevalier, il