Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/276

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Le maître.

Tu me démontreras celui-ci ?

Jacques.

Si vous y consentez.

Le maître.

J’y consens.

Jacques.

Cela se fera, et parlons d’autre chose…

Après ces balivernes et quelques autres propos de la même importance, ils se turent ; et Jacques, relevant son énorme chapeau, parapluie dans les mauvais temps, parasol dans les temps chauds, couvre-chef en tout temps, le ténébreux sanctuaire sous lequel une des meilleures cervelles qui aient encore existé consultait le destin dans les grandes occasions ; … les ailes de ce chapeau relevées lui plaçaient le visage à peu près au milieu du corps ; rabattues, à peine voyait-il à dix pas devant lui : ce qui lui avait donné l’habitude de porter le nez au vent ; et c’est alors qu’on pouvait dire de son chapeau :

Os illi[1] sublime dedit, cœlumque tueri
Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus.

Ovide, Metam., lib, I, v. 85.

Jacques, donc, relevant son énorme chapeau et promenant ses regards au loin, aperçut un laboureur qui rouait inutilement de coups un des deux chevaux qu’il avait attelés à sa charrue. Ce cheval, jeune et vigoureux, s’était couché sur le sillon, et le laboureur avait beau le secouer par la bride, le prier, le caresser, le menacer, jurer, frapper, l’animal restait immobile et refusait opiniâtrement de se relever.

Jacques, après avoir rêvé quelque temps à cette scène, dit à son maître, dont elle avait aussi fixé l’attention : Savez-vous, monsieur, ce qui se passe là ?

Le maître.

Et que veux-tu qui se passe autre chose que ce que je vois ?

Jacques.

Vous ne devinez rien ?

  1. Dans Ovide, on lit homini au lieu de illi. (Br.)