Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/51

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coutures coupées, les bandes déroulées, l’appareil levé et ma blessure à découvert. Le chirurgien tâte en dessus, en dessous, par les côtés, et à chaque fois qu’il me touche, il dit : « L’ignorant ! l’âne ! le butor ! et cela se mêle de chirurgie ! Cette jambe, une jambe à couper ? Elle durera autant que l’autre : c’est moi qui vous en réponds.

— Je guérirai ?

— J’en ai bien guéri d’autres.

— Je marcherai ?

— Vous marcherez.

— Sans boiter ?

— C’est autre chose ; diable, l’ami, comme vous y allez ! N’est-ce pas assez que je vous aie sauvé votre jambe ? Au demeurant, si vous boitez, ce sera peu de chose. Aimez-vous la danse ?

— Beaucoup.

— Si vous en marchez un peu moins bien, vous n’en danserez que mieux… Commère, le vin chaud… Non, l’autre d’abord : encore un petit verre, et notre pansement n’en ira pas plus mal. »

Il boit : on apporte le vin chaud, on m’étuve, on remet l’appareil, on m’étend dans mon lit, on m’exhorte à dormir, si je puis, on ferme les rideaux, on finit la bouteille entamée, on en remonte une autre, et la conférence reprend entre le chirurgien, l’hôte et l’hôtesse.

L’hôte.

Compère, cela sera-t-il long ?

Le chirurgien.

Très long… À vous, compère.

L’hôte.

Mais combien ? Un mois ?

Le chirurgien.

Un mois ! Mettez-en deux trois, quatre, qui sait cela ? La rotule est entamée, le fémur, le tibia… À vous, commère.

L’hôte.

Quatre mois ! miséricorde ! Pourquoi le recevoir ici ? Que diable faisait-elle à sa porte ?

Le chirurgien.

À moi ; car j’ai bien travaillé.