Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/60

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cela était-il faux : que sait-on ? Ce qu’il y a de plaisant, c’est que le lendemain de cette accusation, le prieur de la maison fut assigné au nom d’un chirurgien pour être satisfait des remèdes qu’il avait administrés et des soins qu’il avait donnés à ce scélérat de portier dans le cours d’une maladie galante… Mon maître, vous ne m’écoutez pas, et je sais ce qui vous distrait, je gage que ce sont ces fourches patibulaires.

Le maître.

Je ne saurais en disconvenir.

Jacques.

Je surprends vos yeux attachés sur mon visage ; est-ce que vous me trouvez l’air sinistre ?

Le maître.

Non, non.

Jacques.

C’est-à-dire, oui, oui. Eh bien ! si je vous fais peur, nous n’avons qu’à nous séparer.

Le maître.

Allons donc, Jacques, vous perdez l’esprit ; est-ce que vous n’êtes pas sûr de vous ?

Jacques.

Non, monsieur, et qui est-ce qui est sûr de soi ?

Le maître.

Tout homme de bien. Est-ce que Jacques, l’honnête Jacques, ne se sent pas là de l’horreur pour le crime ?… Allons, Jacques, finissons cette dispute et reprenez votre récit.

Jacques.

En conséquence de cette calomnie ou médisance du portier, on se crut autorisé à faire mille diableries, mille méchancetés à ce pauvre Père Ange dont la tête parut se déranger. Alors on appela un médecin qu’on corrompit et qui attesta que ce religieux était fou et qu’il avait besoin de respirer l’air natal. S’il n’eût été question que d’éloigner ou d’enfermer le Père Ange, c’eût été une affaire bientôt faite ; mais parmi les dévotes dont il était la coqueluche, il y avait de grandes dames à ménager. On leur parlait de leur directeur avec une commisération hypocrite : « Hélas ! ce pauvre Père Ange, c’est bien dommage ! c’était l’aigle de notre communauté. —