Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/61

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Qu’est-ce qui lui est donc arrivé ? » À cette question on ne répondait qu’en poussant un profond soupir et en levant les yeux au ciel ; si l’on insistait, on baissait la tête et l’on se taisait. À cette singerie l’on ajoutait quelquefois : « Ô Dieu ! qu’est-ce de nous !… Il a encore des moments surprenants… des éclairs de génie… Cela reviendra peut-être, mais il y a peu d’espoir… Quelle perte pour la religion !… » Cependant les mauvais procédés redoublaient ; il n’y avait rien qu’on ne tentât pour amener le Père Ange au point où on le disait ; et on y aurait réussi si frère Jean ne l’eût pris en pitié. Que vous dirai-je de plus ? Un soir que nous étions tous endormis, nous entendîmes frapper à notre porte : nous nous levons ; nous ouvrons au Père Ange et à mon frère déguisés. Ils passèrent le jour suivant dans la maison ; le lendemain, dès l’aube du jour, ils décampèrent. Ils s’en allaient les mains bien garnies ; car Jean, en m’embrassant, me dit : « J’ai marié tes sœurs ; si j’étais resté dans le couvent, deux ans de plus, ce que j’y étais, tu serais un des gros fermiers du canton ; mais tout a changé, et voilà ce que je puis faire pour toi. Adieu, Jacques, si nous avons du bonheur, le Père et moi, tu t’en ressentiras… » puis il me lâcha dans la main les cinq louis dont je vous ai parlé, avec cinq autres pour la dernière des filles du village, qu’il avait mariée et qui venait d’accoucher d’un gros garçon qui ressemblait à frère Jean comme deux gouttes d’eau.

le maître, sa tabatière ouverte et sa montre replacée.

Et qu’allaient-ils faire à Lisbonne ?

Jacques.

Chercher un tremblement de terre, qui ne pouvait se faire sans eux ; être écrasés, engloutis, brûlés ; comme il était écrit là-haut.

Le maître.

Ah ! les moines ! les moines !

Jacques.

Le meilleur ne vaut pas grand argent.

Le maître.

Je le sais mieux que toi.

Jacques.

Est-ce que vous avez passé par leurs mains ?