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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/68

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Jacques.

À la bonne heure ! mais jurez-moi, du moins, que vous ne m’interromprez plus.

Le maître.

À tout hasard, je te le jure.

Jacques.

C’est que mon capitaine, bon homme, galant homme, homme de mérite, un des meilleurs officiers du corps, mais homme un peu hétéroclite, avait rencontré et fait amitié avec un autre officier du même corps, bon homme aussi, galant homme aussi, homme de mérite aussi, aussi bon officier que lui, mais homme aussi hétéroclite que lui…


Jacques était à entamer l’histoire de son capitaine, lorsqu’ils entendirent une troupe nombreuse d’hommes et de chevaux qui s’acheminaient derrière eux. C’était le même char lugubre qui revenait sur ses pas. Il était entouré… De gardes de la Ferme ? — Non. — De cavaliers de maréchaussée ? — Peut-être. Quoi qu’il en soit, ce cortège était précédé du prêtre en soutane et en surplis, les mains liées derrière le dos ; du cocher noir, les mains liées derrière le dos ; et des deux valets noirs, les mains liées derrière le dos. Qui fut bien surpris ? Ce fut Jacques, qui s’écria : « Mon capitaine, mon pauvre capitaine n’est pas mort ! Dieu soit loué !… » Puis Jacques tourne bride, pique des deux, s’avance à toutes jambes au-devant du prétendu convoi. Il n’en était pas à trente pas, que les gardes de la Ferme ou les cavaliers de maréchaussée le couchent en joue et lui crient : « Arrête, retourne sur tes pas, ou tu es mort… » Jacques s’arrêta tout court, consulta le destin dans sa tête ; il lui sembla que le destin lui disait : Retourne sur tes pas : ce qu’il fit. Son maître lui dit : Eh bien ! Jacques, qu’est-ce ?

Jacques.

Ma foi, je n’en sais rien.

Le maître.

Et pourquoi ?

Jacques.

Je n’en sais davantage.

Le maître.

Tu verras que ce sont des contrebandiers qui auront