Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/84

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lui dit le maître de Jacques, un chirurgien, un médecin, un apothicaire… » Cependant on avait déposé Jacques à ses pieds, le front couvert d’une épaisse et énorme compresse, et les yeux fermés. « Jacques ? Jacques ?

— Est-ce vous, mon maître ?

— Oui, c’est moi ; regarde-moi donc.

— Je ne saurais.

— Qu’est-ce donc qu’il t’est arrivé ?

— Ah ! le cheval ! le maudit cheval ! je vous dirai tout cela demain, si je ne meurs pas pendant la nuit. »

Tandis qu’on le transportait et qu’on le montait à sa chambre, le maître dirigeait la marche et criait : « Prenez garde, allez doucement ; doucement, mordieu ! vous allez le blesser. Toi, qui le tiens par les jambes, tourne à droite ; toi, qui lui tiens la tête, tourne à gauche. » Et Jacques disait à voix basse : « Il était donc écrit là-haut !… »


À peine Jacques fut-il couché, qu’il s’endormit profondément. Son maître passa la nuit à son chevet, lui tâtant le pouls et humectant sans cesse sa compresse avec de l’eau vulnéraire. Jacques le surprit à son réveil dans cette fonction, et lui dit : Que faites-vous là ?

Le maître.

Je te veille. Tu es mon serviteur, quand je suis malade ou bien portant ; mais je suis le tien quand tu te portes mal.

Jacques.

Je suis bien aise de savoir que vous êtes humain ; ce n’est pas trop la qualité des maîtres envers leurs valets.

Le maître.

Comment va la tête ?

Jacques.

Aussi bien que la solive contre laquelle elle a lutté.

Le maître.

Prends ce drap entre tes dents et secoue fort… Qu’as-tu senti ?

Jacques.

Rien ; la cruche me paraît sans fêlure.

Le maître.

Tant mieux. Tu veux te lever, je crois ?