Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/97

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valet, en s’écriant : Mon pauvre Jacques, que vas-tu faire ? Que vas-tu devenir ? Ta position m’effraie.

Jacques.

Mon maître, rassurez-vous, me voilà.

Le maître.

Je n’y pensais pas ; j’étais à demain, à côté de toi, chez le docteur, au moment où tu t’éveilles, et où l’on vient te demander de l’argent.

Jacques.

Mon maître, on ne sait de quoi se réjouir, ni de quoi s’affliger dans la vie. Le bien amène le mal, le mal amène le bien. Nous marchons dans la nuit au-dessous de ce qui est écrit là-haut, également insensés dans nos souhaits, dans notre joie et dans notre affliction. Quand je pleure, je trouve souvent que je suis un sot.

Le maître.

Et quand tu ris ?

Jacques.

Je trouve encore que je suis un sot ; cependant, je ne puis m’empêcher de pleurer ni de rire : et c’est ce qui me fait enrager. J’ai cent fois essayé… Je ne fermai pas l’œil de la nuit…

Le maître.

Non, non, dis-moi ce que tu as essayé.

Jacques.

De me moquer de tout. Ah ! si j’avais pu y réussir.

Le maître.

À quoi cela t’aurait-il servi ?

Jacques.

À me délivrer de souci, à n’avoir plus besoin de rien, à me rendre parfaitement maître de moi, à me trouver aussi bien la tête contre une borne, au coin de la rue, que sur un bon oreiller. Tel je suis quelquefois ; mais le diable est que cela ne dure pas, et que dur et ferme comme un rocher dans les grandes occasions, il arrive souvent qu’une petite contradiction, une bagatelle me déferre ; c’est à se donner des soufflets. J’y ai renoncé ; j’ai pris le parti d’être comme je suis ; et j’ai vu, en y pensant un peu, que cela revenait presque au même, en ajoutant : Qu’importe comme on soit ? C’est une autre résignation plus facile et plus commode.